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samedi 12 juin 2010

Interview : Michiru Yamane (Castlevania)

Nerveuse et pourtant si délicate, la bande originale de Castlevania: Symphony of the Night a captivé de nombreux joueurs tout autant que sa direction artistique raffinée. On eut dit que l'illustratrice Ayami Kojima et la musicienne Michiru Yamane avaient pris possession de l'imaginaire de Castlevania pour y insuffler une vie nouvelle. Passant volontiers de morceaux classiques à des thèmes empreints de metal, l'accompagnement de Yamane était si délicieusement hérétique qu'il allait s'imposer comme une œuvre pionnière dans le monde de la musique de jeu vidéo.

Michiru Yamane au Café Pause

Michiru Yamane est une femme enthousiaste, dévouée à sa musique. Son influence insoupçonnée a touché de nombreux mélomanes à travers le monde. A quelques mois à peine d'intervalle, elle est apparue sur scène en kimono lors du Video Games Live, puis s'est envolée pour la Suède afin de participer à un concert entièrement dédié à Castlevania. A chaque fois, elle était acclamée. Elle a également arrangé certaines de ses propres compositions pour un gigantesque coffret des musiques de la série. Dans cette interview, Yamane aborde tous ces sujets, en plus de son récent départ de Konami pour travailler à son propre compte.

Interview réalisée par Jeriaska, traduite de l'anglais par Jérémie Kermarrec. Le texte est disponible en anglais sur 1UP et en japonais sur Game Design Current.

1UP : Sur votre site officiel, on peut voir une peinture inédite d'Ayami Kojima, dont les tableaux ont illustré la série Castlevania. Elle était déjà présente sur votre blog avant cela. Comment cela se fait-il que vous l'utilisiez sur le site de votre société ?

Michiru Yamane : Le portrait original avait été envoyé dans mon bureau, à Konami. Je savais qu'il existait, mais j'étais très surprise quand je l'ai reçu. On m'a autorisé à le ramener chez moi, où je l'ai accroché sur un mur pour que tout le monde puisse l'admirer. Mme Kojima m'ayant donné sa permission, j'ai pu utiliser cette image pour ma carte de visite.

Peut-on dire que vous et Mme Kojima êtes amies ?

Oui, autant au niveau personnel que professionnel. Nous sommes même déjà parties en vacances ensemble.

Lorsque vous travaillez ensemble sur des projets, est-ce que votre musique est influencée par ses tableaux ?

Absolument. D'abord, je prends le temps de regarder les peintures de Mme Kojima et, ensuite, je me lance dans la composition. Elle m'inspire beaucoup.


Quand vous commencez à composer, est-ce que vous vous intéressez aux détails d'un morceau, ou est-ce que vous préférez commencer par établir une impression plus générale ?

Au tout début, je préfère déterminer l'impression générale. Je me demande si ce sera un morceau classique, ou bien du heavy metal, ou alors quelque chose de plus ethnique. Une fois que j'ai posé les bases, je m'assois à mon piano et je commence à faire des ébauches. Je développe peu à peu ces ébauches pour creuser l'environnement sonore, une étape qui se déroule elle sur ordinateur. De nos jours, on peut faire des essais avec les instruments virtuels de son choix sur son ordinateur personnel, et cela m'inspire parfois des mélodies auxquelles je n'aurais pas pensé sinon.

Comment était-ce de travailler avec votre sœur Kahori ?

Je vois que vous êtes bien renseigné. (rires) Elle a chanté les pistes "Prayer" et "Enchanted Banquet" dans Castlevania: Symphony of the Night. Elle étudiait encore à l'université à cette époque. Nous les avons enregistrées dans un petit studio improvisé au bureau. Bien sûr, à ce moment-là, ni elle ni moi ne pensions que ces enregistrements plus que modestes seraient encore écoutés à travers le monde si longtemps après. C'était au tout début de mon travail sur la série Castlevania.

Quelle est votre approche lorsque vous arrangez des musiques que vous avez composé il y a un certain temps, comme c'était le cas sur le coffret musical de Castlevania récemment sorti ?

Quand je cherche à réinventer ces pistes, je retrouve les émotions de l'époque où je les ai écrites à l'origine. Des fois, je me demande même comment j'ai réussi à écrire de telles compositions. C'est sans doute une résurgence des sensations que j'éprouvais à ce moment-là.

Avant Symphony of the Night, vous aviez écrit les musiques de Castlevania: Bloodlines sur la Genesis de Sega. Selon vous, quelles sont les différences de style entre ces deux bandes originales ?

Castlevania: Bloodlines avait un style plus masculin, macho même, mais je n'ai pas changé mon approche pour autant. La grande différence qu'il y a entre les deux jeux vient de la présence de Mme Kojima dans Symphony of the Night. Cela m'a encouragé à écrire des thèmes plus expressifs afin de me mettre au même niveau de qualité artistique.

Alors que j'étais chez Konami depuis près de dix ans, la société a choisi de passer de la Genesis de Sega à la PlayStation de Sony. En termes de capacités techniques, cela constituait un changement considérable. Tout le monde a un peu perdu ses repères. Au milieu de cette confusion, on m'a proposé de travailler sur Bloodlines. Comme cela m'intéressait en tant que musicienne, j'ai accepté avec plaisir.

Vous avez apporté certaines formes de musique classique dans la série Castlevania, où l'on trouvait jusque là surtout du rock progressif. Au tout départ, comment vous êtes-vous préparée à participer à la série ?

Quand j'ai composé Bloodlines, je connaissais déjà bien les jeux Castlevania, et je me suis rendue compte que je me devais d'écouter beaucoup plus de musique rock. J'avais bien des groupes préférés quand j'étais adolescente, mais je n'aurais jamais pensé qu'un jour, on me demanderait d'écrire dans un style similaire. J'ai donc commencé par écouter de nombreux artistes afin d'analyser leur structure rythmique et les passages à la guitare. J'aime bien notamment le groupe de metal progressif américain Dream Theater. Pour les thèmes de boss, je pense qu'il est difficile de trouver plus efficace que le rock progressif.


De nombreux joueurs ont été sensibles à la variété de tempos dans Symphony of the Night. Il y avait des passages calmes et mystérieux qui étaient peu courants dans les jeux d'action de l'époque. Certains éléments du système de jeu ont-ils encouragé ces changements dans le rythme général ?

S'il ne fait aucun doute que Symphony of the Night est un jeu d'action, le style visuel que Mme Kojima a en partie déterminé semblait suggérer un tempo plus lent, plus déterminé. Cette idée était en rupture avec la formule traditionnelle, alors j'en ai discuté avec M. Igarashi, et il se trouve qu'il y était très favorable. C'est grâce à son envie de porter la série sur un terrain nouveau qu'elle a connu un tel succès, à mon avis.

Ces décisions nouvelles dans la création du jeu reflétaient-elles un changement dans la politique de la société à l'époque ?

La bulle économique dans laquelle nous étions était sur le point d'éclater. A cette époque, il était difficile de nous tenir aux délais car tout le monde voulait remplir les jeux à craquer. Cela débouchait sur des grandes réunions au cours desquelles les développeurs demandaient plus de temps avant la date limite et un budget plus élevé. Quand j'y repense, je me dis que c'était une sage décision, car s'ils n'avaient pas négocié ces ressources supplémentaires, les résultats auraient été bien différents.

Selon vous, pourquoi le succès de la série Castlevania ne se dément pas ?

Je pense que c'est parce que le mythe de Dracula est populaire partout dans le monde. Cette histoire a inspiré de nombreux films, et elle a séduit tout un tas de personnes, moi y compris.

On peut dire que vous êtes une fan, donc.

Oui, on peut. (rires)

Quelles sont vos techniques pour rester dans le ton d'un jeu d'action ?

Des fois, je change le tempo d'un morceau après avoir testé le jeu afin de mieux coller à ce qu'il se passe à l'écran. J'essaie donc toujours de rester flexible, de faire en sorte que je puisse changer le tempo quand je compose.

Quelle est votre état d'esprit, maintenant que vous avez quitté Konami et que vous travaillez à votre propre compte ?

C'est comme si on avait retiré un poids de mes épaules. Avant, je travaillais de 9 heures à 17 heures, et uniquement sur des jeux Konami. J'ai toujours eu envie d'essayer d'autre chose. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la série Castlevania n'a plus de place dans mon cœur, bien au contraire. Je suis confiante car M. Igarashi m'a assuré que, même si je quittais Konami, je pourrais toujours travailler sur la série en tant qu'indépendante. En fait, j'ai déjà hâte que cela arrive.


Racontez-nous comment vous avez été invitée au concert de Video Games Live à Tokyo.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Tommy Tallarico à l'E3 quand je participais à la promotion de Castlevania: Curse of Darkness. Il m'a recontacté pour m'inviter à son grand concert qui devait se dérouler à Los Angeles. Hideo Kojima a pu s'y rendre, mais pas moi, car j'avais trop de travail. J'étais très déçue d'avoir raté l'occasion d'entendre ma musique jouée en concert au Hollywood Bowl, mais nous nous sommes rencontrés une nouvelle fois l'année suivante. C'est là qu'il m'a invité à participer au concert de Tokyo. Quand j'ai quitté Konami, je me suis rendue compte que j'avais bien plus de temps libre, alors j'ai commencé à m'intéresser aux costumes traditionnels. Plus grand monde ne s'habille en kimono de nos jours, alors j'ai décidé d'en porter un.

Vous y avez pensé aussi pour le concert Castlevania ?

En fait, comme je devais aussi jouer sur scène, je n'aurais pas été très à l'aise en kimono. (rires) Je ne suis pas une pianiste professionnelle. Les gens dans le public étaient surtout là pour voir la compositrice interpréter ses propres morceaux, alors je ne voulais pas me faire trop remarquer.

Lors de ce concert, vous avez joué au piano dans un style classique. Seriez-vous aussi intéressée de jouer dans le style rock progressif ?

Si je devais faire ça en concert, je ferais appel à un groupe spécialisé dans ce style de musique. Je resterais à l'arrière, au synthétiseur.

Qui sont les compositeurs classiques dont vous aimez le plus la musique ?

Bien sûr, il y a Bach et Mozart. Tous les compositeurs qui ont laissé leur nom à la postérité sont de grands artistes, et leur musique m'a profondément influencée. Il y a aussi la musique romantique de Schumann et Rachmaninov, et les avancées modernistes de Ravel et Debussy. Stravinski m'a également inspiré, tout autant qu'il a influencé la musique de film. Je me suis aussi intéressée à l'influence de l'avant-garde sur les films et les jeux d'horreur.

Il y a un vrai sens du rythme dans la plupart de vos compositions, et il complète très bien l'action à l'écran. Avez-vous retrouvé un même sens du rythme dans les œuvres d'autres musiciens pour des formes d'art plus traditionnelles ?

L'orchestration de "Petrouchka" de Stravinski est tout à fait comparable. Toute la force du "Sacre du printemps" réside dans ses changements de rythme. L'utilisation variée de tous les instruments est magistrale. Je me suis rendue compte que j'y revenais très souvent.

Avez-vous un message pour les lecteurs qui apprécient votre musique depuis toutes ces années ?

Quand j'ai quitté Konami après vingt années de service, j'ai découvert que la musique de Castlevania était très largement appréciée à travers le monde. Je n'ai pas le temps de répondre à tous les courriers des fans, mais je les lis tous. Je parcoure tant bien que mal ceux en anglais, le dictionnaire à la main. Certains peuvent se demander ce qu'est devenue Michiru Yamane, mais je tiens à les rassurer. Je suis toujours associée à Castlevania. Créer un jeu vidéo que tant de monde apprécie n'est pas chose facile, et nul ne peut prédire l'avenir. Cela dit, j'ai tout à fait l'intention de continuer à me consacrer à la composition pour le plaisir des autres.

[Pour écouter des extraits du coffret Castlevania Best Music Collections BOX, visitez le site officiel.]

samedi 3 avril 2010

Interview : Masato Kouda (Monster Hunter)

Si la série Monster Hunter a rencontré un tel succès au Japon, c'est grâce à son univers de fantasy peuplé de nombreuses créatures. Cependant, sa bande originale a aussi rencontré un franc succès, au point d'être arrangée plusieurs fois pour des concerts de jeu vidéo, notamment lors de l'événement célébrant les cinq ans de la série. Une grande partie des musiques de la série a été écrite par le compositeur Masato Kouda, autrement connu pour sa collaboration à Devil May Cry et aux derniers épisodes de la série Wild Arms. Kouda a également participé à la création du deuxième album des Star Onions, Sanctuary, qui propose des reprises acoustiques de Final Fantasy XI.


Masato Kouda est désormais membre d'un nouveau studio de création sonore installé à Tokyo, Design Wave. Dans cette interview, le musicien revient notamment sur sa place au sujet de cette société, ainsi que sur son travail sur Monster Hunter et sur sa collaboration aux Star Onions avec son ami Naoshi Mizuta.

Interview réalisée par Jeriaska, traduite du japonais par Takahiro Yamamoto et de l'anglais par Jérémie Kermarrec. Le texte en anglais est disponible sur GameSetWatch et en japonais sur Game Design Current.

M. Kouda, merci de prendre le temps de parler avec nous de votre nouveau studio. Les joueurs occidentaux ignorent souvent que la série Monster Hunter rencontre un tel succès au Japon qu'elle fait l'objet de concerts symphoniques. Quelle a été votre impression quand vous avez entendu la musique du jeu en concert ?

Depuis que j'ai commencé à composer, mon plus grand rêve était d'entendre ma musique interprétée par un orchestre. C'était très émouvant pour moi d'assister aux enregistrements du premier Monster Hunter au Victor Studio. Plus tard, mon rêve s'est concrétisé lors du concert Press Start: Symphonic of Games en 2006. C'était un tel honneur pour moi, mais comme je devais aussi jouer sur scène, il fallait que je reste en coulisses la plupart du temps. Au concert Press Start de 2008, c'était la première fois que j'écoutais ma musique en tant que membre du public. J'avais du mal à croire que c'était moi que j'entendais.

Qui a réalisé l'orchestration des musiques de la série ?

C'est Shirô Hamaguchi qui a adapté les thèmes de Monster Hunter pour orchestre. J'adore ses orchestrations pour Final Fantasy et Sakura Wars. Il reprend toujours les compositions de base avec énormément de soin. En plus, il invente des procédés auxquels je n'aurais jamais pensé moi-même, mais qui renforcent les détails du morceau. C'était surtout le cas avec Monster Hunter, pour lequel il a choisi de conserver mon emploi des accords.

Les musiciens ont beaucoup de mal à jouer les thèmes de Monster Hunter en mi bémol. Si vous baissez la note, cela devient bien plus facile à jouer. Cependant, il y a une grande différence de personnalité entre un ré et un mi bémol. Si je devais essayer de les décrire, je dirais que ré est comme une couleur primaire, alors que mi bémol serait plutôt vert foncé. M. Hamaguchi a respecté cette subtilité, c'est pour cela qu'il a gardé les arrangements en mi bémol.

C'est une observation intéressante. Vous faites toujours ce type d'association quand vous écrivez de la musique ?

Certainement. Je ne sais pas depuis quand je le fais, mais ce type d'impression me permet de mieux différencier les dièses et les bémols.


Quel rôle comptez-vous jouer au sein de votre société de design sonore, Design Wave ?

En ce qui concerne ma propre position dans la société, cela peut changer selon la situation. Cela dit, j'aimerais beaucoup jouer en concert plus souvent.

Y a-t-il d'un concert de jeu vidéo en particulier qui vous a laissé un grand souvenir ?

Quand j'ai joué sur scène au Fan Festival de Final Fantasy XI de 2008 à Santa Monica, la réaction du public était extraordinaire. C'était très différent du Japon, où le public écoute généralement la musique en silence. A Los Angeles, c'était incroyable car le public était très énergique, il nous encourageait en permanence. Même quand la musique était plus sombre, ou que c'était un morceau de fusion jazz-rock complètement à l'opposée des Black Mages par exemple, les gens réagissaient avec énormément d'enthousiasme. C'est ce type d'énergie qui me motive à jouer en public.

Vous aimeriez encore jouer à l'étranger ?

J'aimerais faire une tournée à plusieurs endroits. Ce serait vraiment amusant.

Est-ce que Design Wave va se concentrer uniquement sur la musique de jeu vidéo ?

La société ne se limite pas seulement aux jeux, mais cela reste notre priorité pour le moment. J'ai été rejoint par Masakazu Sugimori, qui était entré chez Capcom un peu après moi et qui a travaillé sur les musiques de la série Phoenix Wright.

Est-ce que vous rencontrez des difficultés quand vous composez ?

Ça peut arriver. C'est parfois un défi de travailler sur des suites, mais je trouve cela beaucoup plus difficile de se lancer dans un projet totalement nouveau. Je commence par réfléchir au type de style qui conviendrait le mieux, par exemple de la musique d'une certaine région du monde, ou bien de la musique orchestrale. En cours de route, je découvre le jeu plus en détails, et le plus souvent c'est différent de ce que j'avais imaginé. Dans le cas de Monster Hunter, par exemple, j'avais sous-estimé l'impact que le jeu aurait sur les joueurs. Pour moi, le concept était tout ce qu'il y a de plus modeste. Mais quand je l'ai vu tourner, j'ai été très impressionné. A ce moment-là, j'ai compris que la bande originale devait ressembler davantage à celle d'un film.


Qui sont les compositeurs de film que vous admirez ?

John Williams, sans hésitation. J'ai beaucoup appris sur la composition et l'arrangement grâce à lui. Quand j'ai entendu la musique des Dents de la mer et de la Guerre des étoiles pour la première fois, j'ai été soufflé. A chaque fois qu'il sortait un film pour lequel il avait composé, j'étais très impatient.

La première fois que j'ai vu un film d'Hollywood au cinéma, c'était Rencontres du troisième type. Dans ce film, il y a un OVNI qui communique avec les gens par la télépathie. Vous vous souvenir de la manière dont il se termine ? D'abord, la soucoupe volante émet une mélodie très simple, plus elle devient de plus en plus élaborée jusqu'à ce qu'elle s'en aille finalement. C'était parfait, tout simplement.

Comment se fait-il que vous, ancien employé de Capcom, ayez rejoint les Star Onions, un groupe de compositeurs de Square Enix ?

Naoshi Mizuta et moi sommes amis depuis qu'il est arrivé chez Capcom en 1994, la même année que moi. Nous sommes restés en contact, même après son départ pour devenir compositeur chez Square. Nous avons les mêmes goûts musicaux, et c'est sûrement pour cela qu'il pensait que je ferais un bon membre des Star Onions. Sur l'album Sanctuary, M. Mizuta a arrangé "Griffons Never Die" et "Wings of the Goddess", et j'ai ajouté quelques arrangements en plus. Ces pistes lui sont vraiment propres. D'ailleurs, c'est lui qui joue de la basse électrique.

Que pensez-vous des influences ethniques qu'a apporté Kumi Tanioka à ses bandes originales ?

Elle a vraiment trouvé un moyen différent de s'exprimer. Par exemple, dans Final Fantasy XI, son thème de Gustaberg est plein d'idées auxquelles je n'aurais jamais pensé. Sur le précédent album des Star Onions, j'ai arrangé la piste "Awakening", et j'étais fasciné par la structure de la musique. Elle sait vraiment comment apporter de la diversité dans la composition, et comment y intégrer des instruments ethniques.

Mme Tanioka a été très inspirée par son travail avec Roba House sur Final Fantasy Crystal Chronicles. Ce groupe de musicien est spécialisé dans les instruments de l'époque médiévale et de la Renaissance. Est-ce que vous les connaissez ?

Je n'ai jamais collaboré professionnellement avec Roba House, mais j'ai fait mes études à l'université de musique de Kunitachi, qui se trouve à Tachikawa. Comme les locaux de Roba House sont à côté de la station Tamagawa-Jousui, j'allais assister à leurs concerts.


Quelles ont été vos impressions quand vous avez travaillé sur l'arrangement de la chanson "Distant Worlds" ?

Cette chanson a été composée par M. Uematsu, l'homme qui a sans doute eu le plus d'influence sur moi quand j'ai décidé de me consacrer à la musique de jeu vidéo. Quand Final Fantasy IV est sorti, je me suis rendu compte que c'était un domaine vraiment unique, même si je n'avais jamais pensé que je pourrais en faire partie.

C'est la Super Nintendo qui a complètement changé ma vision du jeu vidéo, car elle permettait d'obtenir une musique de style orchestral. A cette époque, je jouais du clavier dans un groupe, alors je découvrais comment composer de la musique électronique. Quand j'ai entendu la musique de ces jeux, j'ai compris pour la première fois que ce ne serait pas une mauvaise idée de m'intéresser à cette industrie.

Quels souvenirs gardez-vous de Final Fantasy IV ?

Je me souviens de la scène avec les vaisseaux des Ailes Rouges au tout début du jeu. J'adorais le "Theme of Love", aussi. Et puis il y a eu l'incroyable scène de l'opéra dans Final Fantasy VI. J'aimais aussi le thème de Kefka, et surtout la façon dont il était repris dans le combat final. Si je me souviens bien, dans le combat final, il y a un passage très intense avec des cordes au milieu, non ? Ça m'a vraiment fait beaucoup d'effet.

Cette expérience s'est-elle retrouvée dans la façon dont vous avez traité "Distant Worlds" ?

Je n'ai pas eu de mal à imaginer l'arrangement de "Distant Worlds". Même avant de commencer à m'y mettre, je pouvais l'entendre dans ma tête. Si vous écoutez l'arrangement original, celui avec un orchestre et une soprano, il y a quelque chose de jazzy dans le traitement des accords. Je voulais faire ressortir cet aspect de la composition. C'est souvent un vrai défi d'arranger des cordes à la manière du jazz. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'utiliser un quatuor et des instruments tels que le vibraphone, je pensais qu'ils pourraient faire ressortir l'aspect jazzy. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai gardé la progression des cordes, mais en changeant les instruments la musique devient totalement différente.

D'ailleurs, l'arrangement original était de Takahito Eguchi. Pour être plus précis, M. Uematsu a composé la musique, M. Mizuta l'a arrangée, et M. Eguchi s'est occupé de l'orchestration. Ce morceau a vraiment fait l'objet d'un soin particulier. Je l'ai donc arrangé une nouvelle fois pour cet album.


En plus de votre travail sur Monster Hunter et auprès des Star Onions, vous avez participé à un album original intitulé Istoria ~Musa~, qui comprend neuf chansons en hommage aux neuf muses de la mythologie grecque. Comment est né ce projet ?

Je ne me souviens plus il y a combien de temps c'était, mais les musiciens de jeu vidéo qui ont participé à l'album se sont retrouvés un soir pour dîner et parler musique. Il y avait Kenji Itô, Yoshitaka Hirota et Akiko Shikata. C'est à ce moment-là que j'ai rejoint le projet. Quand on m'a expliqué le concept d'Istoria ~Musa~, j'ai trouvé que cela correspondait parfaitement au style de Mme Shikata, en tout cas selon ce que j'avais écouté d'elle.

La thématique des muses a bien sûr encadré mes arrangements, mais la personnalité et le style de Mme Shikata a joué un rôle tout aussi important. On m'a confié les muses de l'histoire (Clio) et de la tragédie (Melpomène).

Comment décririez-vous le style de vos arrangements au piano sur cet album ?

Le morceau au piano reflète un thème tragique. Plutôt que de le composer de manière énergique ou passionnée, j'ai voulu qu'il soit calme et discret. C'est pour cela que j'ai laissé de longs silences entre les notes. Je voulais que celui qui l'écoute en ressente l'aspect négatif, alors j'ai vraiment essayé de retenir chaque note de la piste.

Vous avez aussi arrangé quelques du jeu d'arcade Mega Man 2: The Power Fighters ?

Oui, trois thèmes de niveau.

Comment les avez-vous choisis ?

On m'a demandé si j'aimerais participer au projet, pour m'occuper des pistes qui n'étaient pas déjà prises. Comme j'étais satisfait de la sélection, c'était un vrai plaisir.


Comment avez-vous décidé des arrangements ?

J'ai changé les accors dans "Dive Man". J'ai repris la mélodie de base et j'ai modifié l'harmonie pour qu'elle corresponde plus à mes goûts. Pour "Pharaoh Man", j'ai choisi un rythme latino parce que j'ai pensé que ça correspondait bien. Enfin, pour "Stone Man", le début est très décontracté à la manière ce que pourrait jouer un saxophone.

Avez-vous apprécié de travailler avec d'autres musiciens sur ce projet précis ?

A cette époque, je n'étais dans la société que depuis deux ans, alors les autres avaient plus d'expérience que moi. J'ai pu voir comment ils travaillaient, et cela m'a beaucoup appris sur comment arranger ma musique. C'était une vraie chance de pouvoir comprendre les styles de chacun et leur manière de travailler.

Vous avez dit que vous aimeriez jouer en concert en rapport avec votre activé à Design Wave. Est-ce important de jouer dans un groupe pour revenir compositeur ?

Pour les arrangements, oui, c'est très utile. Vous comprenez mieux jusqu'où peuvent aller une guitare ou une batterie pour élaborer une atmosphère donnée. Jouer dans un groupe donne accès à ce type de compétence.

C'est donc quelque chose que vous recommandez à ceux qui veulent devenir musiciens ou compositeurs de jeu vidéo ?

Absolument. De nos jours, c'est assez courant de tout faire soi-même, de la composition aux arrangements. Dans la musique de jeu vidéo, c'est tout à fait naturel de s'occuper soi-même de l'encodage et du mixage. Cependant, ce n'est pas de cette manière que vous pouvez comprendre ce dont sont capables une guitare ou d'autres instruments. Pour révéler tout son potentiel en tant que créateur de musique électronique, il peut être essentiel d'avoir une connaissance approfondie des caractéristiques des instruments acoustiques.

[Vous pouvez importer l'album Monster Hunter 3rd Anniversary Commemorative Best Track sur Amazon.co.jp. Images : Capcom, Vagrancy et Square Enix.]

lundi 8 mars 2010

Interview : Keita Egusa (Pia-com)

Depuis qu'il a croisé le chemin de Nobuo Uematsu et Hiroki Ogawa, le pianiste Keita Egusa est devenu un collaborateur régulier du label Dog Ear Records. Suite à la sortie son LP KALAYCILAR en 2008, Egusa s'est lancé dans le projet Pia-com, un album de reprises au piano de musiques tirées de jeux sortis lors des années 80. Parmi eux, Mappy, Salamander, Mother ou encore Final Fantasy II. Dans cette interview, il explique comment cet album est né, et revient sur son apparition lors du concert japonais Press Start, l'année dernière.

Keita Egusa

[Interview réalisée par Jeriaska. Traduction française : Jérémie Kermarrec. Images : Dog Ear Records. L'album Pia-com est disponible ici.]

Merci de nous rejoindre pour cette interview, M. Egusa. Dog Ear Records a publié votre album solo KALAYCILAR. Quel rôle a joué M. Ogawa dans cette sortie ?

Il y a deux réponses à cette question : une courte et une longue. Laissez-moi vous donner la longue. La plupart des idées qui ont mené à la piste principale de KALAYCILAR étaient dans ma tête depuis que j'ai découvert les Mikrokosmos de Béla Bartók, quand j'étais à l'université. A l'époque, je pensais même que ça ferait de la très bonne musique de jeu. J'ai commencé à me renseigner sur les chansons folkloriques de Hongrie, où est né Bartók, pour mieux comprendre leurs motifs. Je m'étais dit qu'un jour, j'aimerais essayer d'en arranger une avec mon propre style.

En 2000, j'ai rejoint un groupe qui interprétait de la musique turque et arabe. J'y ai découvert une chanson folklorique turque nommée KALAYCILAR. Nous jouions ces musiques dans le plus pur style turc, mais quand je me suis souvenu de l'impression que m'avaient laissé les Mikrokosmos de Bartók, j'ai commencé à en écrire un arrangement pour le groupe. Un arrangement qui serait un rappel de mes souvenirs de lycée. Voilà comment est née l'idée de l'album KALAYCILAR.

Nous avons joué cette chanson turque à plusieurs occasions, par exemple à des mariages. J'ai pu la jouer lors du mariage de M. Ogawa lui-même, et il l'a vraiment adorée. M. Uematsu a pu écouter l'enregistrement, et c'est comme cela qu'ils ont décidé de la publier avec le label Dog Ear Records.

Lorsque nous avons commencé à travailler sur l'album, nous avons convenu qu'il fallait deux autres pistes. J'ai donc arrangé une chanson folklorique marocaine, "Aisha", que M. Ogawa a encore une fois adoré. En plus de celle-ci et après de nombreuses recherches, j'ai décidé d'ajouter quelque chose de plus populaire, à savoir un arrangement de "Simoon" du Yellow Magic Orchestra. L'enregistrement s'est très bien passé, avec très peu de difficultés.


Vous avez joué du piano lors du dernier concert Press Start: Symphony of Games. Quelle impression gardez-vous d'avoir travaillé sur des musiques de jeux vidéo connues avec le Tokyo City Philharmonic Orchestra ?

C'était une expérience vraiment excitante. Les talents de nombreux arrangeurs rivalisaient les uns les autres sous les yeux du public. Le matériau d'origine avait un vrai sens pour ceux qui étaient des joueurs. Le choix des pistes et leur présentation ne pouvait pas être plus au service des fans, vous savez.

Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'entendre des musiques de jeux électroniques lors d'un concert est une idée bizarre, surtout quand il y a un orchestre au grand complet. C'était vraiment amusant. Pour moi, ce type d'événement n'est pas seulement intéressant pour les gens familiers avec la culture des jeux vidéo, mais aussi pour ceux qui se pensent en dehors. Peu importe où on se situe, cela reste un concert extrêmement plaisant.

Lors d'une précédente interview, nous avons appris que votre père a participé à l'interprétation d'Anata wo Yurusanai sur PSP. Vous pouvez donc vous retrouver autour du jeu vidéo et y trouver du plaisir ?

Mon père a 70 ans, alors il appartient à une génération qui n'a pas connu les joies du jeu vidéo. Quand j'étais enfant, on jouait ensemble à des jeux de plateau : shôgi, Othello, flipper... C'est certes une vision bien plus générale du "jeu", mais s'il y a bien quelqu'un qui m'a appris à les apprécier, c'est mon père.

Pia-com est un album de reprises au piano de thèmes venant d'un certain nombre de vieux jeux. Quand vous étiez jeune, est-ce que vous faisiez déjà des arrangements au piano de ce style ?

Bien sûr ! Space Invaders faisait un tabac à l'époque où j'étais à l'école maternelle. En cours de musique, je profitais de la pause pour me glisser derrière le synthétiseur et jouer des musiques du jeu. Il y avait mes camarades qui m'écoutaient, c'était vraiment amusant. Je me suis rendu compte que jouer de la musique pour les autres était une vraie source de bonheur. Et c'est pour cela que je suis là aujourd'hui.


Comment avez-vous choisi les morceaux de Pia-com I ?

J'ai déjà eu la chance de jouer le thème de Mappy en public plusieurs fois auparavant. Quand nous avons commencé à réfléchir au concept de l'album chez Dog Ear Records, j'avais enregistré une version démo de cette piste, parmi quelques autres. Dès qu'ils l'ont entendu, ils ont dit : "C'est ça !". A vrai dire, j'avais déjà pensé à utiliser "Snowman" sur l'album KALAYCILAR, mais c'est parce que M. Ogawa m'avait demandé d'écouter la piste "Eight Melodies" de Mother.

Lors du concert Press Start, vous avez joué "Zanarkand", le thème d'ouverture de Final Fantasy X composé par Nobuo Uematsu. Vous avez aussi arrangé une piste de Final Fantasy II pour Pia-com. Quelle a été votre expérience en travaillant avec lui ?

Dès que je commence à jouer une musique de Uematsu, je ressens une sensation étrange, celle de pouvoir ressentir son univers. J'ai aussi pu jouer lors du concert Distant Worlds, et cela m'a permis de me familiariser avec un certain nombre de ses thèmes. Je n'avais pas arrangé moi-même la version de "Zanarkand" jouée à Press Start, mais il y a un très long solo de piano au début. Jouer tout seul du piano devant une salle remplie à craquer est certes une expérience angoissante, mais j'étais très heureux quand j'ai vu que le public avait apprécié mon interprétation.

Interview : Dog Ear Records

2009 a été une année bien remplie pour le label Dog Ear Records de Nobuo Uematsu, et 2010 semble bien partie pour confirmer la tendance avec, notamment, l'arrivée tant attendue de la bande originale de Final Fantasy XIV. Dans cette interview, le directeur du label Hiroki "wappa" Ogawa revient sur les sorties de l'année passée et apporte quelques détails sur les nouveautés, dont l'album solo 10 Short Stories célébrant les 50 ans de Nobuo Uematsu, et qui sort cette semaine au Japon. Ogawa livre à cette occasion quelques anecdotes sur la naissance du projet. Et avec des sous-titres en français, s'il vous plaît.


Un grand merci à Jeriaska pour ces interviews toujours riches en informations. N'oubliez pas aussi d'aller lire l'interview de Keita Egusa, l'un des artistes produits par Dog Ear.

vendredi 18 décembre 2009

Interview avec Hirokazu Tanaka

Notre plus généreux donateur d'interviews, Jeriaska, a récemment publié une très intéressante discussion entre Baiyon (connu pour son travail sur les visuels et la musique de PixelJunk Eden) et Hirokazu "Hip" Tanaka. Tanaka n'est certes pas aussi connu que Nobuo Uematsu ou Kôichi Sugiyama, pourtant c'est l'une des plus grandes pointures de la musique de jeu vidéo des années 80. Il a travaillé sur le premier Metroid et Kid Icarus, mais aussi et surtout sur la série Mother et ses suites (le 2 étant connu sous le nom d'Earthbound en dehors du Japon). Alors que les compositeurs de l'époque se contentaient souvent de mélodies simples et entraînantes faute de qualité sonore satisfaisante, Tanaka explorait déjà les possibilités d'ambiance offertes par le support. Je n'ai pas traduit l'intégralité de l'interview, mais vous pouvez la lire en anglais :


Voici le passage le plus intéressant, à mon avis :

En toute honnêteté, à l'époque, j'avais beaucoup de réserves concernant l'emploi de la musique dans les jeux. C'était assez gênant. La musique de fond se contentait de jouer en boucle, et je trouvais cela énervant. Je pensais que la partie sonore devait être plus du côté des effets sonores, parce que le joueur a un contrôle sur ces derniers. Le son du jeu aurait été plus uni. Je rêvais vraiment d'un jeu dans lequel la partie audio aurait été entièrement composée d'effets sonores.

C'est ce que j'avais en tête quand je travaillais sur Metroid. Mon idée était de ne pas avoir de musique vraiment mélodique avant la fin du jeu, pour que le joueur éprouve une vraie satisfaction de l'avoir terminé. Vous étiez devant ce jeu à la musique très sombre, vous passiez des semaines avant d'en voir le bout. Cette mélodie qu'on entend à la fin du jeu faisait vraiment office de récompense.

Je voulais que les gens ressentent cette impression. On me disait pourtant qu'il fallait une musique plus enjouée, parce que les jeux étaient censés être amusants. Après Dragon Quest, tout le monde s'attendait à entendre de belles mélodies dans les jeux, alors j'avais bien du mal à faire comprendre mon point de vue. De nos jours, on comprend enfin que la création sonore ne se limite pas à la "musique de jeu", mais nécessite la conception d'un véritable environnement grâce au son. Il aura fallu vingt ans pour qu'on me donne raison.

mercredi 25 novembre 2009

Interview : Hiroki Kikuta & Hitoshi Sakimoto

Après la remarquable discussion entre Hiroki Kikuta et Yôko Shimomura, Jeriaska revient à la charge avec une nouvelle interview de Kikuta, mais avec Hitoshi Sakimoto cette fois-ci. Les deux musiciens, qui se connaissent eux aussi de longue date, reviennent notamment sur l'époque de Secret of Mana et Ogre Battle, quand ils exploraient tous les deux les possibilités sonores des consoles. Mais la discussion porte également sur leurs projets actuels et leurs méthodes de travail. Encore une fois, une lecture passionnante :


Notez au passage que la bande originale de Muramasa: The Demon Blade va sortir en CD le 16 décembre, publié directement par Basiscape, qui inaugurera à l'occasion son propre label. Cliquez ici pour en savoir plus. Comme vous pouvez le voir, tout le studio de Sakimoto a été mobilisé pour ce très beau jeu Wii, successeur spirituel d'Odin Sphere. Cette fois-ci, la musique est plus discrète, les rythmes plus omniprésents, le tout saupoudré d'instruments traditionnels japonais pour coller au style graphique. Sakimoto a d'ailleurs fourni un excellent thème principal, tout en nuances.

samedi 22 août 2009

Interview : Hiroki Kikuta & Yôko Shimomura

C'est une interview que j'ai pris un plaisir fou à traduire, et qui sans doute vous procurera un plaisir fou à lire. Quand deux des plus grands musiciens de la VGM, tous deux anciens de Square, se retrouvent après plusieurs années chacun de leur côté, cela donne un entretien amical et profondément nostalgique. C'est ainsi que Jeriaska a réussi à réunir Hiroki Kikuta (Secret of Mana, Sôkaigi) et Yôko Shimomura (Legend of Mana, Kingdom Hearts), qui ont beaucoup de choses à se dire, parfois même à s'avouer. A lire absolument :

Le monde magique de Hiroki Kikuta et Yoko Shimomura

dimanche 28 juin 2009

Table ronde : la VGM indépendante

La musique de jeu vidéo, ce n'est pas seulement les grands compositeurs que nous connaissons tous. Tout comme les produits qu'elle renforce ou illustre, cette musique peut être issue de la scène indépendante, auquel cas le public qu'elle touche est réduit, mais toujours passionné. Il arrive parfois que certaines productions indépendantes brisent leurs chaînes pour être largement exposées ; c'était par exemple le cas de l'excellent Flower. Mais les musiciens de cette scène ont souvent des choses intéressantes à dire, au-delà même de leur domaine, et c'est ce que vous allez constater en lisant cette table ronde entre plusieurs de ces artistes :
  • Vincent Diamante est désormais reconnu pour son travail sur Cloud et Flower, les jeux évocateurs de Jenova Chen. Il est actuellement professeur au département média de l'University of Southern California.
  • Chris Schlarb fait partie du groupe I Heart Lung avec lequel il est parti en tournée au début de l'année. Il travaille en ce moment sur Night Game, un jeu WiiWare réalisé par Nicalis.
  • Shaw-Han Liem est à l'origine de la série d'albums I Am Robot and Proud, pour laquelle il était en tournée au Japon à la fin de l'année dernière. Il travaille actuellement sur un projet avec le créateur de jeu vidéo Jonathan Mak (Everyday Shooter).
  • Baiyon est le directeur artistique et musical de PixelJunk Eden et de son extension Encore. Il était invité cette année à la Game Developers Conference de San Francisco pour présenter son travail sur le titre de Q-Games. Il est accompagné de Ryojiro Sato, musicien, à l'interprétation anglais-japonais.
Deux visions du rapport entre le son et l'image sont peu à peu développées lors de la discussion, chacune avec ses propres arguments, toujours pertinents et largement justifiés. C'est long, il faut bien le reconnaître, mais c'est diablement intéressant.

Schlarb, Baiyon, Ryojiro Sato, Shaw-Han et Diamante

Interview réalisée par Jeriaska, traduite du japonais par Ryojiro Sato, de l'anglais par Jérémie Kermarrec. Le texte est disponible en anglais sur GameSetWatch et en italien sur Gamesource.it et en japonais sur GAME Watch.

GameSetWatch : Pour commencer cette discussion sur la rencontre entre la musique indépendante et le jeu vidéo indépendant, j'ai une question. Je voudrais savoir si vous avez en tête des exemples, dans l'histoire du jeu vidéo, de jeux innovants où le gameplay permettait de réaliser des improvisions musicales.

Vincent Diamante : Je me souviens de ce jeu, Ballblazer. C'était de Lucasfilm, quand ils ne s'étaient pas encore renommé LucasArts, au milieu des années 80. C'était un jeu de sport à la première personne, et quand on jouait, un solo de jazz était généré. A l'époque, certains tests disaient que la bande originale ressemblait à du John Coltrane poussé dans ses derniers retranchements. Il était sorti sur PC et sur Nintendo. Je me souviens d'y avoir joué à l'époque, quand j'étais jeune étudiant en musique. Je me disais, "cette musique est vraiment différente". C'était magique.

Chris Schlarb : Ballblazer ? Il faut que j'y jette un œil.

GSW : Chris, dans votre interview au sujet de Night Game, vous citiez la spontanéité de PaRappa the Rapper. Pour vous, c'était la première fois qu'il était possible d'improviser ou de faire des riffs dans un jeu ?

Schlarb : PaRappa était le premier jeu à m'avoir donné cette impression merveilleuse. J'en parlais parce j'étais très impatient à l'idée de voir le créateur de PaRappa à la remise des prix hier soir. Dans PaRappa, on peut quasiment faire ce qu'on veut. On peut ajouter du rythme pour jouer en polyrythmie.

Shaw-Han : C'était possible à n'importe quel moment du jeu ?

Schlarb : Oui, parce qu'il ne suffisait pas de jouer le rythme. Tu pouvais aussi diviser le rythme en plusieurs parties, et l'environnement du jeu changeait en temps réel.

Je me souviens d'une fois, je faisais le niveau avec Maître Oignon, et ça commençait à m'agacer. Soudain, le plafond s'est effondré et PaRappa arrivait dans le ciel ! Ça ne m'était jamais arrivé avant. J'avais l'impression qu'il se passait quelque chose de totalement inédit. C'était absolument génial.

La plupart des jeux sont trop linéaires quand il s'agit de composition. Moi, je ne viens pas du jeu vidéo à l'origine, alors quand je compose, je pense plutôt à des choses modernes comme les travaux d'Eno, Reich ou Cage, et je ne m'inspire pas nécessairement des autres jeux.

GSW : Baiyon, avez-vous déjà écouté les musiques de toutes les personnes ici réunies ?

Baiyon : J'ai joué à Flower. J'ai déjà parlé avec Shaw-Han sur MySpace, mais je ne connaissais pas Chris.

GSW : Chris a composé les musiques de Night Game, un nouveau jeu WiiWare. Toutes les pistes sont acoustiques, et elles ne tournent jamais en boucle. Il y a plusieurs morceaux pour chaque monde, certaines font 30 secondes, d'autres durent plusieurs minutes. Entre elles, il y a des silences à la durée aléatoire.

Schlarb : Tu as vu les illustrations de Night Game ? Elles s'inspirent des ombres chinoises.

Baiyon : Ah, oui, je les ai vues.

Chris Schlarb

GSW : Que pensez-vous du fait d'ajouter du contenu à vos jeux ? Si par exemple on vous disait : "Nous voulons plus de niveaux dans Night Game".

Schlarb : Ça m'est arrivé. Quand j'ai commencé à travailler sur Night Game, il devait y avoir dix minutes de musique. Il y avait deux mondes, ce qui faisait cinq minutes par monde. Au départ, c'était un jeu gratuit, car Nifflas en a fait plein par le passé. Mais cette chose qui devait être simple à l'origine est plus tard devenue un jeu WiiWare. Le volume a donc augmenté, et comme je l'ai expliqué, la chose la plus difficile était que j'avais déjà travaillé sur le petit jeu, et que je ne m'étais donné aucune limite dans les instruments. C'est devenu très difficile par la suite. Si je m'étais limité à une palette de cinq ou six instruments, alors le reste serait passé comme une lettre à la poste.

Le projet étant plus gros, les possibilités étaient plus nombreuses. Je pouvais faire ce que je voulais, et mon imagination était encouragée par les visuels, qui changeaient à chaque monde. C'était difficile car je devais apporter de nouveaux instruments, comme le trombone, le marimba, la mandoline, l'euphonium... Il y en avait de plus en plus. J'ai évité d'utiliser des cordes, cela dit. Il y avait juste une contrebasse. Le plus difficile était de savoir quand m'arrêter, parce que je suis passé de dix à cinquante minutes de musique. Cela m'a bien pris huit mois, dans mon temps libre.

Maintenant, je sais donner des limites à l'orchestration : je peux composer pour un ensemble de musique de chambre. Sinon, jusqu'où peut-on aller ? Les limites sont parfois une bonne chose. Tu définis d'abord un groupe d'instruments, puis tu laisses ton esprit travailler sous cette contrainte. Au départ, je croyais qu'il y avait vraiment que deux possibilités avec la musique de jeu, à savoir soit le son rétro 8-bit, soit des trucs de style orchestral.

Diamante : Mais tu sais, la musique 8-bit, ça me fait penser à la fusion jazz-rock japonaise. La musique 8-bit, que le musicien le sache ou non, ça nous ramène jusqu'à des groupes tels que Casiopea ou T-Square.

Schlarb : En effet. Je crois que, dans ma tête, je me voyais mal correspondre à l'un de ces styles. Je ne sais pas programmer. Je pense plutôt que je suis bon pour la texture, pour l'écriture d'arrangements pour ensemble, pour utiliser les instruments et les musiciens là où il le faut.

Avec Night Game, je pensais que le jeu devait pouvoir respirer. Dans la plupart des jeux, il y a du son, des effets visuels partout et tout le temps. Dans Night Game, il n'y a pas de temps limite, alors je voulais créer une sorte de flux et de reflux. La musique viendrait, puis s'en irait, pour être remplacée par les bruits d'ambiance. La musique reviendrait alors, donnant un coup de fouet subliminal au joueur. Il ne remarquerait pas que la musique a disparue, disons plutôt qu'il le sentirait au lieu de l'entendre.

Diamante : Dans Flower, la musique fait très jeu vidéo, et elle est continue. Dans le niveau cinq, il y a des pauses d'une ou plusieurs minutes dans l'accompagnement musical.

Baiyon : Oui, et c'est très intéressant.

Vincent Diamante

GSW : Vincent, comment réagiriez-vous si l'on devait faire une suite ou ajouter du contenu à télécharger pour Flower ?

Diamante : Flower possède sa propre histoire, et pour moi elle est terminée. Cela pourrait être une nouvelle saga, j'imagine. Moi, ça m'irait. Mais s'ils devaient faire des niveaux en plus entre ceux qui existent déjà, ça ne conviendrait pas, à mon avis. La progression de la musique dans l'histoire est déjà définie. Il me faudrait réfléchir très longuement si je devais écrire une nouvelle partition pour ce contenu glissé au milieu de la progression déjà établie.

GSW : Vous n'avez jamais considéré que la musique de Flower était la continuation de celle de Cloud, votre précédent projet pour thatgamecompany ?

Diamante : Certains éléments de Cloud, comme les illustrations de Jenova, montraient déjà des fleurs. Cela m'a bien sûr inspiré, mais je n'y pensais pas directement. Les thématiques que j'ai établi ont beaucoup de choses en commun. Cloud se suffit à lui-même, notamment au sujet de la construction de la musique et de son orchestration.

GSW : Aujourd'hui, Vincent et moi sommes allés à la conférence de Hitoshi Sakimoto, à la Game Developers Conference. Comme vous le savez, c'est l'un des compositeurs de RPG les plus connus au Japon. Après la discussion, Vincent est allé se présenter et lui a dit, la voix basse, "je viens d'écrire ma propre bande originale pour un jeu console, Flower". Les yeux de Sakimoto se sont illuminés. Il a répondu : "Flowery ? Vous voulez dire Flowery ? J'y ai joué !"

C'est un bon exemple pour prouver que généralement, les musiciens indépendants de jeu vidéo ne se rendent pas compte du degré de reconnaissance de leur travail.

Diamante : Oui, j'étais très surpris.

Schlarb : C'est génial. Ecrire de la musique pour ces jeux, c'est un processus à la fois long et isolé. Ce genre de reconnaissance est vraiment précieux. J'ai travaillé sur Night Game pendant un an sans que personne n'en entende parler. Je ne recevais aucune réaction.

Diamante : Et ce sont des jeux qui rendent beaucoup de gens curieux. Quand j'ai vu Night Game pour la première fois, j'ai voulu en savoir plus. Autant chez les consommateurs que ceux qui travaillent sur des jeux depuis longtemps, il y a certaines personnes qui s'intéressent vraiment aux musiciens qui cherchent à briser les barrières, à changer les choses.

GSW : Dans la musique de Flower, il y a plusieurs couches, qui se superposent ou disparaissent selon ce qu'il se passe à l'écran. C'est une technique efficace en terme d'émotions. La musique répond subtilement aux actions du joueur.

Baiyon : En tant que musicien, je pense que la musique s'auto-suffit. Contrairement à la composition pour un jeu, j'aime donner à la musique sa propre personnalité. L'interactivité peut limiter les possibilités musicales.

Schlarb : Je te comprends ce que tu veux dire. Mais je pense que dans Flower, c'est quelque chose d'intéressant. La musique répond au joueur, alors que dans Night Game, c'est le joueur qui répond à la musique. Ces deux idées m'intéressent tout autant.


Baiyon : Les jeux musicaux permettent presque au joueur de composer réellement. Je trouve cela intéressant, mais si tu peux créer d'une certaine manière de la musique dans le jeu, ça n'est pas vraiment différent de si tu as vraiment composé la musique. En tant qu'artiste, il est plus satisfaisant de faire de la musique en dehors d'un jeu. Quelle différence cela fait-il avec une bande originale déjà créée ?

Diamante : Chacune a sa propre valeur, je pense. Quand on se concentre uniquement sur l'interprétation, que ce soit un joueur qui joue ou de vrais musiciens en train de faire de la musique, cela peut dépasser toutes sortes de possibilités. Fut un temps, tout le monde avait un piano chez soi. Les gens achetaient des partitions de chansons populaires pour les jouer eux-mêmes. Le résultat ? Il dépendait du pianiste, du chanteur et de s'ils étaient doués ou non. Ils ont peut-être des instructions, mais la musique qu'ils produisent est bien la leur. Si je l'écoutais, je pourrais penser que ce n'est pas joué comme il le faut, mais que ce n'est pas grave, tant que c'est leur musique. C'est la même chose avec le jeu vidéo, il appartient plus au joueur qu'au développeur.

Baiyon : Je pense qu'il existe une interaction entre la musique du compositeur et l'expérience vécue par le joueur. Cela ne se limite pas seulement à appuyer sur un bouton ou entendre un son. Je suis persuadé qu'on peut donner au joueur une meilleure structure dans la musique. Cela dit, j'ai vraiment adoré jouer à Flower.

Shaw-Han : Pour moi, il n'existe pas de musique qui ne soit pas interactive. La musique est toujours interactive. Comme pour n'importe quelle discussion, comme il s'agit de moyen de communication, il y a le son qui arrive dans tes oreilles, puis il y a ce qu'il se passe dans ton cerveau quand tu entends ce son. Chaque personne aura une réaction chimique différente ou je ne sais quoi dans sa tête pour agrémenter cette expérience.

Schlarb : C'est intéressant, parce que les deux approches se justifient. Les deux m'intéressent. Avec Night Game, je voulais plutôt créer un environnement que le joueur ne peut pas modifier. Que ce soit dans le style visuel ou dans les énigmes, tout est très structuré. L'ordre dans lequel les morceaux sont joués est aléatoire, tout comme la présence des silences. C'est au joueur de réagir à tout cela. C'est en cela que le jeu n'adapte pas aux réactions du joueur.

Je trouve que l'approche choisie par Baiyon, où la musique est séparée du jeu, est vraiment intéressante. D'un autre côté, Vincent a choisi de traiter le jeu et la musique comme une entité unique. Mais j'aime vraiment chacune de ces idées. Sera-t-il possible, à l'avenir, de combiner les deux pour que les jeux semblent vivants, tout en imposant leurs environnements ou leurs ambiances ?

Shaw-Han : Je pense que c'est important, peu importe l'endroit du spectre où l'on se situe. Quand je fais de la musique sur CD, c'est la mienne, c'est moi qui commande. Si j'écris de la musique pour un jeu, l'idée est qu'elle doit soutenir la mécanique de jeu. Si cette dernière vous demande d'explorer un monde aux possibilités infinies à chaque instant, alors l'idée de faire une bande originale qui change selon vos décisions peut aider à soutenir l'impression générale du jeu. Mais si c'est un jeu dans lequel il faut se battre contre le reste du monde, alors une musique plus rigide se justifie. La musique est une représentation du système de jeu. Je trouve cela intéressant de jouer avec cette relation entre les deux.

Baiyon : J'ai aussi travaillé sur la partie visuelle du jeu. Pour moi, musique et jeu ne faisaient qu'un. Je laissais simplement mon inspiration me mener là où elle devait aller.

Schlarb : Quand tu es artiste, c'est très facile à faire. Tu es la source de tout.

Baiyon : Comme vous faites tous de la musique, vous me comprenez sans doute. Quand c'est difficile, cela devient moins intéressant car ce n'est plus très amusant. Avec ce type de processus, il faut que l'on possède certaines facilités et que l'on ait confiance dans son travail.

Baiyon

GSW : Avez-vous éprouvé des difficultés avec PixelJunk Eden ?

Baiyon : Pas du tout. J'ai écrit la musique à ma façon, et je n'ai jamais pensé qu'il fallait la changer en cours de développement. La seule chose qui m'a posé problème, c'étaient les effets sonores. Avec ma musique, je cherche toujours à donner du plaisir aux gens, mais souvent, dans les jeux vidéo, les effets sonores détournent l'attention. Faire des explosions pour forcer le joueur à se dépêcher, c'était vraiment nouveau pour moi. Techniquement, je ne sais pas si l'on peut parler de "musique de jeu vidéo". A mon avis, ce genre n'existe pas.

GSW : Alors comment décririez-vous la techno minimaliste que vous avez utilisé dans PixelJunk Eden ?

Baiyon : Disons du 120 à 130 battements par minute.

*rires*

GSW : Dans PixelJunk Eden, existe-t-il des références spécifiques entre la musique et le style visuel ?

Baiyon : Cela peut sembler confus, mais ce jeu m'a aidé à réunir mes recherches artistiques et musicales. Mon but n'était pas nécessairement de faire que la musique s'adapte à l'image. C'est juste venu naturellement. Le but était d'offrir aux joueurs des expériences nouvelles au fil de la partie.

Shaw-Han : Tu as commencé par les visuels ou par la musique ?

Baiyon : J'ai fait les deux en même temps. En fait, je les faisais tout en parlant au téléphone, et j'utilisais l'autre oreille pour écouter la musique de quelqu'un d'autre.

*rires*

Baiyon : C'est une triste constatation, mais quand on compose sa propre musique, on ne peut pas écouter d'autres musiques en même temps car on n'a que deux oreilles. J'étais surpris quand je m'en suis rendu compte. Avec l'art visuel, on peut regarder une image et écrire en même temps. C'est un processus quasi simultané. Par contre, ce type d'expérience n'existe pas avec la musique. L'ouïe n'équivaut pas la vue.

Diamante : Moi, je vois la musique de jeu vidéo de deux façons. La musique de jeu vidéo existe, bien sûr, mais quand j'étais à l'université, j'ai beaucoup travaillé sur ce domaine qu'on appelle "game music", dans lequel les orchestres, au lieu d'avoir des partitions, reçoivent des instructions. Sur la feuille du clarinettiste, il serait écrit, par exemple : joue ce motif si tu entends le violoniste faire quelque chose sur cette note.

Quand je compose ma musique, j'essaie de personnifier la PlayStation ou l'ordinateur. J'imagine que dans la machine, il y a des musiciens, et je veux qu'ils apprécient autant la musique que moi. Je me sens lié à la technologie, je veux qu'elle aime ce que je lui donne à faire.

Je suis toujours attentionné envers l'interprète, et parfois cet interprète est la PlayStation. Je peux décider de me forcer à faire des choses précises, ou forcer un musicien ou un ami, alors je ne peux pas composer sans garder l'interprète en tête, peu importe qui est cet interprète.

Schlarb : Est-ce que vous avez joué à Bloom, sur iPhone ? J'ai des enfants de sept et onze ans, et je les laisse y jouer quand je les conduis quelque part. Et ils y jouent pendant... une heure. Ils trouvent des choses vraiment intéressantes, auxquelles je n'aurais pas pensé moi-même.

Shaw-Han Liem

GSW : Shaw-Han, comment votre expérience de programmeur transparaît-elle dans les albums I Am Robot and Proud ?

Shaw-Han : Eh bien, j'ai passé mes années de lycées dans des groupes punk. Je suis ensuite allé à l'université, j'ai appris à utiliser des ordinateurs, et les deux se sont un peu chevauchés. J'imagine que pour tout le monde ici, l'ordinateur est le meilleur outil de composition dont ils disposent. Ça a été inventé pour avaler des chiffres, et c'est devenu une interface musicale géniale, pas vrai ?

GSW : J'imagine que vous et Baiyon devez vous produire dans les mêmes clubs de Kyoto. Vous vous souvenez de l'endroit où vous avez joué pendant votre tournée Uphill City ?

Shaw-Han : Je ne m'en souviens pas. C'était un peu comme le Metro...

Baiyon : Le Club Metro ?

Shaw-Han : Voilà.

Baiyon : Je m'y produis une fois par mois. Nous nous sommes rencontrés là-bas, mais tu ne t'en souviens peut-être pas. Je t'ai rencontré grâce à un ami, au bar, après ta partie. Tu avais l'air épuisé. Je t'ai demandé "tu es fatigué ?" et tu m'as répondu "oui".

Shaw-Han : Je crois que je suis passé à 4 heures du matin. C'était de la folie.

GSW : Shaw-Han réalise lui-même la partie visuelle de ses concerts. Pouvez-vous nous expliquer plus en détails votre travail ?

Shaw-Han : Pour la partie visuelle de mes concerts, j'ai besoin d'un MIDI translator. Tous ceux qui jouent d'un instrument dépendent d'un utilitaire MIDI, puis un ordinateur reprend toutes ces informations pour les retranscrire. J'utilise un traitement de données, qui me permet en fait de reproduire la rapidité de mon jeu sur le clavier.

Schlarb : C'est toi qui génère toutes ces données...

Shaw-Han : Voilà. Tous ceux qui sont sur scène, par exemple le batteur, génèrent des données. Mon idée est que cela fait un moment que je joue de la musique en concert, et que j'ai toujours trouvé qu'il y a une chose : quand vous regardez un type jouer de la guitare, il y a une très forte connexion visuelle et physique avec le public. On le voit jouer avec son bras, puis on entend le son qui sort des hauts-parleurs.

Schlarb : C'est la réaction de cause à effet.

Shaw-Han : Oui, et avec un concert électronique, on n'a pas toujours ce type de connexion. Je joue du clavier, mais je ne bouge pas beaucoup. Mon idée est d'introduire un élément capable de créer cette connexion visuelle. C'est un peu le principe de cause à effet, mais à l'envers. Avec la guitare, c'est ce qu'on voit qui provoque le son.

GSW : Baiyon, qu'avez-vous pensé après avoir terminé PixelJunk Eden et que vous avez appris qu'il y aurait de nouveaux niveaux dans l'extension Encore ?

Baiyon : Après la sortie de PixelJunk Eden, j'ai mieux compris ce dont les programmeurs sont capables. Pour Encore, la réflexion derrière la musique n'a pas vraiment changé, mais en ce qui concerne la partie visuelle, j'ai pu donner plus de détails aux programmeurs. Des petites choses, comme par exemple faire briller une plante quand on saute dessus. Les détails sont plus précis.


GSW : Travailler en équipe, qu'est-ce que cela change, par rapport au travail seul ?

Baiyon : Bien sûr, comme c'est du travail en équipe, il faut savoir communiquer avec les autres. Avant la production de PixelJunk Eden, je dessinais et je faisais de la musique. Quand on est un artiste solo, on se concentre sur le contrôle que l'on a du médium artistique. Mais j'ai trouvé que c'était trop ennuyeux, parce que cet exercice était trop facile à maîtriser.

C'est pour ça que j'ai voulu dépasser mes limites. Un jour, je suis allé dans une boutique de matériel d'art, j'ai fermé les yeux, et j'ai choisi des couleurs au hasard. Même si au final je n'avais choisi que du vert, j'ai pris ces couleurs pour peindre une fois chez moi. Cela a ajouté une note d'imprévu dans mon travail.

Mais c'est devenu ennuyeux. A l'époque j'étais encore étudiant, et ce que je faisais, c'est que quand quelqu'un allait jeter ses couleurs à la poubelle, je demandais si je pouvais les avoir. Si un étudiant qui avait finit une peinture laissait derrière lui de la gouache qu'il n'avait pas utilisé, je m'en servais pour mon propre travail.

Schlarb : On en revient à tes limites et, d'une certaine manière, jusqu'à quel point elles peuvent t'inspirer.

Shaw-Han : Je pense que plus vite on sait se servir d'un outil, plus tôt on commence à devenir créatif. Si l'outil est plus facile, il est plus rapide d'arriver au moment où l'on a tout essayé, et où il faut commencer à faire marcher son cerveau. Avant, on se demande "comment est-ce que je peux faire ça ?" Une fois ce cap franchi, c'est plutôt "bon, qu'est-ce que je veux faire ?"

Baiyon : Recevoir des réactions de la part des joueurs, c'est une expérience inédite pour moi. Chacun des joueurs a un sentiment unique quand il est devant ce jeu. J'ai pu constater de mes propres yeux la différence entre la façon dont j'imaginais qu'ils allaient jouer, et la réaction des testeurs quand ils découvraient le jeu pour la première fois. Ces testeurs avaient une impression différente de celle que je voulais leur offrir. C'était une expérience très intéressante.

Diamante : Ces réactions t'ont-elles fait changer d'avis ? Est-ce que tu as fait table rase et cherché à faire quelque chose de totalement nouveau, ou tu as simplement apporté quelques modifications çà et là ?

Baiyon : Lorsque les testeurs ont joué pour la première fois, ils ont dit que les plantes n'avaient pas l'air en vie. Ils avaient raison, alors j'en ai parlé aux programmeurs, pour voir s'il était possible de changer la forme et la couleur des plantes.

Schlarb : Il t'est arrivé la même chose, Vincent ?

Diamante : Oui, j'ai reçu des réactions de la part des joueurs et des programmeurs. Je ne pouvais pas changer ma musique. Quand je termine un morceau, je crois vraiment en son potentiel. S'ils cherchent quelque chose d'autre, je ne touche à rien, je leur donne tout simplement une toute nouvelle musique.

Baiyon : Je crois qu'il y a un lien très fort entre la musique et la technologie. De nos jours, tout le monde a son propre studio à la maison, et peut donc faire de la musique. Mais en réalité, ceux qui font vraiment de la musique sont rares.

Schlarb : Il faut pouvoir exprimer son univers.

Baiyon : Par exemple, quand tu choisis des samples de saxophone, c'est beaucoup plus excitant si tu sais comment jouer de cet instrument. Faire de la musique devient alors quelque chose de très intense.

Schlarb : Ce n'est que quand tu as atteint le niveau où tu es capable de créer facilement un moyen d'expression avec les instruments virtuels que tu peux commencer à faire quelque chose de véritablement personnel.

Baiyon : Je crois que cela devient dangereux, quand tu trouves un outil informatique tellement pratique que tu ne cherches même plus à explorer d'autres possibilités. L'important ne vient pas forcément de la technologie, ou de telle ou telle méthode de composition.

Schlarb : A mon avis, ce danger existe avec chaque instrument. N'importe qui peut prendre une guitare et jouer n'importe quoi, ou bien faire quelque chose qui n'a absolument aucune saveur avec un tenori-on.

Diamante : Enfant, je me disais que quand je serai grand, il y aurait beaucoup de personnes faisant de la musique. En fait, de nos jours, ils font surtout des blogs ou des vidéos pour YouTube. C'est assez surprenant, parce que faire des vidéos demande une technologie plus complexe.


Schlarb : Il est intéressant de constater que les gens sont plus intéressés par la compréhension et l'utilisation de la technologie que par l'envie d'en repousser les limites. Sur Internet, il y a énormément de choses inutiles. Les bloggeurs racontent ce qui leur passe par la tête, mais ne cherchent pas à devenir le nouveau Hemingway. La prolifération de la technologie semble encourager l'arrivée de ces contenus inutiles.

Shaw-Han : On dirait bien qu'il y a deux façons de voir les choses. Il y a ceux qui ont eu la chance de trouver une chose pour laquelle ils sont prêts à se dépenser sans compter, que ce soit pour le dessin ou la musique, ou autre chose. Ce que tu fais ne sera peut-être pas la meilleure musique du monde. Vous voyez ce que je veux dire ? Mais faire un morceau vraiment nul, c'est mieux que de toute ta vie te dire "je ne pourrais jamais faire ça".

Le nombre de choses inutiles par rapport aux choses intéressantes est bien sûr élevé, mais c'est une question de choix : soit on passe sa vie à penser que la musique, ce sont les autres qui la font, et qu'on va se contenter d'une coupe de cheveux ou de vêtements cool, soit on se décide à prendre la manette en pensant "hé, je peux faire de la musique..."

Je trouve qu'il y a quelque chose de remarquable dans ce type d'instant, quand on comprend que faire de l'art, ça n'appartient pas qu'aux autres.

Schlarb : Je suis bien d'accord avec toi.

Baiyon : Les limites qu'on s'impose peuvent être source d'inspiration. Après toutes ces expériences, je me suis rendu compte que j'aimais les choses aléatoires dans mon travail. Pour moi, l'important, c'est de pouvoir être fier de ma musique au final.

Shaw-Han : Je pense que, surtout avec la musique électronique, il faudrait y songer plus que ça. Avec un instrument acoustique, le côté aléatoire vient du contact physique avec l'objet.

Schlarb : Voilà. La façon dont tu règles ton instrument...

Shaw-Han : Quelle est la longueur de tes ongles quand tu joues de la guitare ? C'est cet aspect aléatoire qui donne de la physicalité au jeu. Avec des outils électroniques, c'est parfois tellement stérile. Quand tu charges ta chanson aujourd'hui, c'est exactement la même que si tu l'avais chargée hier. Les paramètres audio sont exactement les mêmes. Introduire ce côté aléatoire vient du fait que parfois, on aimerait entendre quelques erreurs. Après tout, l'erreur est humaine.

Baiyon : Se sentir soi-même en jouant de la guitare, moi, c'est une idée qui ne me dit rien. Je te force à me regarder en train de jouer, alors que ça ne devrait pas forcément se passer comme ça. Avec la musique électronique, tu peux te détacher des éléments visuels qui ne sont pas nécessaires à la musique.

Schlarb : Mais cela enlève ce qu'il y a de toi dans la musique.

Baiyon : Avec la peinture, je me demande toujours si j'ai vraiment besoin de toutes ces couches, toutes ces lignes. Si tu utilises un ordinateur, tu peux outrepasser beaucoup des difficultés de la peinture à l'huile. Je me demande juste si c'est vraiment nécessaire, s'il y a pas une solution plus efficace. Si tu fais une erreur sur ton ordinateur, tu peux simplement revenir en arrière. Tu ne gardes que ce dont tu as vraiment besoin.

Diamante : Je dirais que la peinture est en trois dimensions. Il lui faut une certaine densité, parce que c'est à partir de là qu'on lui donne du sens. Le peintre peut faire ce qu'il veut, mais je comprends vraiment les peintres qui acceptent que le sens que l'on donne à leur peinture n'est pas nécessairement celui qu'ils voulaient donner. Il peut se passer des choses pendant la création, et cette création est belle, d'une certaine manière. Le résultat est cette chose que le peintre a extrait de lui-même, et qui dépasse l'humanité. L'illustration restera longtemps après sa mort.

Schlarb : Quand on pense à quelqu'un comme Pollock, tout ce qu'il faisait était basé sur la physicalité. Lui-même n'aurait pas pu comprendre la profondeur et la complexité de son travail. Il y a un parallèle intéressant à faire avec le fait qu'un tel caractère aléatoire peut être simulé par une machine, alors même qu'elle ne possède pas la pensée humaine. Par équivalence, le monde électronique a cette part de propreté, et le monde physique, de désordre.


Shaw-Han : Ce que nous disons là revient à ce spectre de possibilités dont nous parlions plutôt. Dans le jeu vidéo, le fait est qu'on peut choisir si le joueur a une emprise ou non sur les choses. Parfois, cela peut se révéler intéressant de ne pas pouvoir contrôler quelqu'un, de simplement se retrouver au milieu d'un événement. Parfois, c'est vraiment super quand la chose que tu tiens dans ta main réagit à ce que tu fais.

En tant que personnes qui réalisent ces expériences, à certains moments nous pensons : "je veux que ce soit ma chanson". Sur le projet suivent, nous pouvons nous intéresser plutôt, par exemple, à la collaboration avec le joueur sur une chanson. Selon l'intention recherchée, nous pouvons nous déplacer sur ce spectre de possibilités.

Schlarb : Cette idée de "contrôle", selon moi, est extrêmement abstraite. J'en reviens à l'art visuel, parce que je pense à Mark Rothko. Ses peintures sont vraiment énormes. Si j'ai bien compris, il a fait ça pour donner l'impression à celui qui les regarde qu'il ne peut pas les contrôler. Une personne devant ces peintures se doit donc se rester humble. Je pense que nous reproduisons ce rapport dans l'interaction entre les gens et la musique. Soit nous dictons une conduite particulière, soit nous laissons le joueur contrôler ce que nous avons créé.

Shaw-Han : Oui, par exemple dans Guitar Hero, la musique est ton ennemie. Le but, on peut dire, est de la vaincre. Dans Flower, ton comportement et la musique fusionnent. Peu importe dans quelle partie du spectre de possibilités tu te places, cela s'exprime toujours dans ces décisions.

Baiyon : Je suis persuadé que des ordinateurs ne peuvent pas imiter mon travail. Je ne veux pas dire qu'il est complexe, mais plutôt qu'un ordinateur ne saurait décider quelle couleur ou quel trait convient le mieux selon moi. Quand tu regardes une peinture, tu ressens simplement quelque chose, peu importe qui l'a réalisée.

Shaw-Han : Pour moi, cette idée de physicalité dans la musique et de pourquoi c'est stimulant est liée au risque. Il y a toujours la possibilité que ce soit nul. Quand tu vois cinq musiciens en concert, tu te dis qu'à n'importe quel moment, tout peut se casser la figure. Ce risque rend les choses intéressantes. Ces cinq musiciens ont peut-être joué la même chose la nuit dernière, mais tu sais très bien que ça ne peut pas être exactement la même chose.

Baiyon : Le manque total de contrôle peut être intéressant, mais alors tout le monde tente le contrôler. Une fois qu'on a atteint ce contrôle, il y a toujours le besoin de passer à autre chose, quelque chose de nouveau.

[Images : Nicalis, Q-Games, Darla Records, Sony Computer Entertainment. Photos : Jeriaska.]