Si la série
Monster Hunter a rencontré un tel succès au Japon, c'est grâce à son univers de fantasy peuplé de nombreuses créatures. Cependant, sa bande originale a aussi rencontré un franc succès, au point d'être arrangée plusieurs fois pour des concerts de jeu vidéo, notamment lors de l'événement célébrant
les cinq ans de la série. Une grande partie des musiques de la série a été écrite par le compositeur Masato Kouda, autrement connu pour sa collaboration à
Devil May Cry et aux derniers épisodes de la série
Wild Arms. Kouda a également participé à la création du deuxième album des Star Onions,
Sanctuary, qui propose des reprises acoustiques de
Final Fantasy XI.
Masato Kouda est désormais membre d'un nouveau studio de création sonore installé à Tokyo,
Design Wave. Dans cette interview, le musicien revient notamment sur sa place au sujet de cette société, ainsi que sur son travail sur
Monster Hunter et sur sa collaboration aux Star Onions avec son ami Naoshi Mizuta.
Interview réalisée par Jeriaska, traduite du japonais par Takahiro Yamamoto et de l'anglais par Jérémie Kermarrec. Le texte en anglais est disponible sur GameSetWatch et en japonais sur Game Design Current.M. Kouda, merci de prendre le temps de parler avec nous de votre nouveau studio. Les joueurs occidentaux ignorent souvent que la série Monster Hunter rencontre un tel succès au Japon qu'elle fait l'objet de concerts symphoniques. Quelle a été votre impression quand vous avez entendu la musique du jeu en concert ?Depuis que j'ai commencé à composer, mon plus grand rêve était d'entendre ma musique interprétée par un orchestre. C'était très émouvant pour moi d'assister aux enregistrements du premier
Monster Hunter au Victor Studio. Plus tard, mon rêve s'est concrétisé lors du concert
Press Start: Symphonic of Games en 2006. C'était un tel honneur pour moi, mais comme je devais aussi jouer sur scène, il fallait que je reste en coulisses la plupart du temps. Au concert
Press Start de 2008, c'était la première fois que j'écoutais ma musique en tant que membre du public. J'avais du mal à croire que c'était moi que j'entendais.
Qui a réalisé l'orchestration des musiques de la série ?C'est Shirô Hamaguchi qui a adapté les thèmes de
Monster Hunter pour orchestre. J'adore ses orchestrations pour
Final Fantasy et
Sakura Wars. Il reprend toujours les compositions de base avec énormément de soin. En plus, il invente des procédés auxquels je n'aurais jamais pensé moi-même, mais qui renforcent les détails du morceau. C'était surtout le cas avec
Monster Hunter, pour lequel il a choisi de conserver mon emploi des accords.
Les musiciens ont beaucoup de mal à jouer les thèmes de
Monster Hunter en mi bémol. Si vous baissez la note, cela devient bien plus facile à jouer. Cependant, il y a une grande différence de personnalité entre un ré et un mi bémol. Si je devais essayer de les décrire, je dirais que ré est comme une couleur primaire, alors que mi bémol serait plutôt vert foncé. M. Hamaguchi a respecté cette subtilité, c'est pour cela qu'il a gardé les arrangements en mi bémol.
C'est une observation intéressante. Vous faites toujours ce type d'association quand vous écrivez de la musique ?Certainement. Je ne sais pas depuis quand je le fais, mais ce type d'impression me permet de mieux différencier les dièses et les bémols.
Quel rôle comptez-vous jouer au sein de votre société de design sonore, Design Wave ?En ce qui concerne ma propre position dans la société, cela peut changer selon la situation. Cela dit, j'aimerais beaucoup jouer en concert plus souvent.
Y a-t-il d'un concert de jeu vidéo en particulier qui vous a laissé un grand souvenir ?Quand j'ai joué sur scène au
Fan Festival de
Final Fantasy XI de 2008 à Santa Monica, la réaction du public était extraordinaire. C'était très différent du Japon, où le public écoute généralement la musique en silence. A Los Angeles, c'était incroyable car le public était très énergique, il nous encourageait en permanence. Même quand la musique était plus sombre, ou que c'était un morceau de fusion jazz-rock complètement à l'opposée des Black Mages par exemple, les gens réagissaient avec énormément d'enthousiasme. C'est ce type d'énergie qui me motive à jouer en public.
Vous aimeriez encore jouer à l'étranger ?J'aimerais faire une tournée à plusieurs endroits. Ce serait vraiment amusant.
Est-ce que Design Wave va se concentrer uniquement sur la musique de jeu vidéo ?La société ne se limite pas seulement aux jeux, mais cela reste notre priorité pour le moment. J'ai été rejoint par Masakazu Sugimori, qui était entré chez Capcom un peu après moi et qui a travaillé sur les musiques de la série
Phoenix Wright.
Est-ce que vous rencontrez des difficultés quand vous composez ?Ça peut arriver. C'est parfois un défi de travailler sur des suites, mais je trouve cela beaucoup plus difficile de se lancer dans un projet totalement nouveau. Je commence par réfléchir au type de style qui conviendrait le mieux, par exemple de la musique d'une certaine région du monde, ou bien de la musique orchestrale. En cours de route, je découvre le jeu plus en détails, et le plus souvent c'est différent de ce que j'avais imaginé. Dans le cas de
Monster Hunter, par exemple, j'avais sous-estimé l'impact que le jeu aurait sur les joueurs. Pour moi, le concept était tout ce qu'il y a de plus modeste. Mais quand je l'ai vu tourner, j'ai été très impressionné. A ce moment-là, j'ai compris que la bande originale devait ressembler davantage à celle d'un film.
Qui sont les compositeurs de film que vous admirez ?John Williams, sans hésitation. J'ai beaucoup appris sur la composition et l'arrangement grâce à lui. Quand j'ai entendu la musique des
Dents de la mer et de la
Guerre des étoiles pour la première fois, j'ai été soufflé. A chaque fois qu'il sortait un film pour lequel il avait composé, j'étais très impatient.
La première fois que j'ai vu un film d'Hollywood au cinéma, c'était
Rencontres du troisième type. Dans ce film, il y a un OVNI qui communique avec les gens par la télépathie. Vous vous souvenir de la manière dont il se termine ? D'abord, la soucoupe volante émet une mélodie très simple, plus elle devient de plus en plus élaborée jusqu'à ce qu'elle s'en aille finalement. C'était parfait, tout simplement.
Comment se fait-il que vous, ancien employé de Capcom, ayez rejoint les Star Onions, un groupe de compositeurs de Square Enix ?Naoshi Mizuta et moi sommes amis depuis qu'il est arrivé chez Capcom en 1994, la même année que moi. Nous sommes restés en contact, même après son départ pour devenir compositeur chez Square. Nous avons les mêmes goûts musicaux, et c'est sûrement pour cela qu'il pensait que je ferais un bon membre des Star Onions. Sur l'album
Sanctuary, M. Mizuta a arrangé "Griffons Never Die" et "Wings of the Goddess", et j'ai ajouté quelques arrangements en plus. Ces pistes lui sont vraiment propres. D'ailleurs, c'est lui qui joue de la basse électrique.
Que pensez-vous des influences ethniques qu'a apporté Kumi Tanioka à ses bandes originales ?Elle a vraiment trouvé un moyen différent de s'exprimer. Par exemple, dans
Final Fantasy XI, son thème de Gustaberg est plein d'idées auxquelles je n'aurais jamais pensé. Sur le précédent album des Star Onions, j'ai arrangé la piste "Awakening", et j'étais fasciné par la structure de la musique. Elle sait vraiment comment apporter de la diversité dans la composition, et comment y intégrer des instruments ethniques.
Mme Tanioka a été très inspirée par son travail avec Roba House sur Final Fantasy Crystal Chronicles. Ce groupe de musicien est spécialisé dans les instruments de l'époque médiévale et de la Renaissance. Est-ce que vous les connaissez ?Je n'ai jamais collaboré professionnellement avec Roba House, mais j'ai fait mes études à l'université de musique de Kunitachi, qui se trouve à Tachikawa. Comme les locaux de Roba House sont à côté de la station Tamagawa-Jousui, j'allais assister à leurs concerts.
Quelles ont été vos impressions quand vous avez travaillé sur l'arrangement de la chanson "Distant Worlds" ?Cette chanson a été composée par M. Uematsu, l'homme qui a sans doute eu le plus d'influence sur moi quand j'ai décidé de me consacrer à la musique de jeu vidéo. Quand
Final Fantasy IV est sorti, je me suis rendu compte que c'était un domaine vraiment unique, même si je n'avais jamais pensé que je pourrais en faire partie.
C'est la Super Nintendo qui a complètement changé ma vision du jeu vidéo, car elle permettait d'obtenir une musique de style orchestral. A cette époque, je jouais du clavier dans un groupe, alors je découvrais comment composer de la musique électronique. Quand j'ai entendu la musique de ces jeux, j'ai compris pour la première fois que ce ne serait pas une mauvaise idée de m'intéresser à cette industrie.
Quels souvenirs gardez-vous de Final Fantasy IV ?Je me souviens de la scène avec les vaisseaux des Ailes Rouges au tout début du jeu. J'adorais le "Theme of Love", aussi. Et puis il y a eu l'incroyable scène de l'opéra dans
Final Fantasy VI. J'aimais aussi le thème de Kefka, et surtout la façon dont il était repris dans le combat final. Si je me souviens bien, dans le combat final, il y a un passage très intense avec des cordes au milieu, non ? Ça m'a vraiment fait beaucoup d'effet.
Cette expérience s'est-elle retrouvée dans la façon dont vous avez traité "Distant Worlds" ?Je n'ai pas eu de mal à imaginer l'arrangement de "Distant Worlds". Même avant de commencer à m'y mettre, je pouvais l'entendre dans ma tête. Si vous écoutez l'arrangement original, celui avec un orchestre et une soprano, il y a quelque chose de jazzy dans le traitement des accords. Je voulais faire ressortir cet aspect de la composition. C'est souvent un vrai défi d'arranger des cordes à la manière du jazz. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'utiliser un quatuor et des instruments tels que le vibraphone, je pensais qu'ils pourraient faire ressortir l'aspect jazzy. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai gardé la progression des cordes, mais en changeant les instruments la musique devient totalement différente.
D'ailleurs, l'arrangement original était de Takahito Eguchi. Pour être plus précis, M. Uematsu a composé la musique, M. Mizuta l'a arrangée, et M. Eguchi s'est occupé de l'orchestration. Ce morceau a vraiment fait l'objet d'un soin particulier. Je l'ai donc arrangé une nouvelle fois pour cet album.
En plus de votre travail sur Monster Hunter et auprès des Star Onions, vous avez participé à un album original intitulé Istoria ~Musa~, qui comprend neuf chansons en hommage aux neuf muses de la mythologie grecque. Comment est né ce projet ?Je ne me souviens plus il y a combien de temps c'était, mais les musiciens de jeu vidéo qui ont participé à l'album se sont retrouvés un soir pour dîner et parler musique. Il y avait Kenji Itô, Yoshitaka Hirota et Akiko Shikata. C'est à ce moment-là que j'ai rejoint le projet. Quand on m'a expliqué le concept d'
Istoria ~Musa~, j'ai trouvé que cela correspondait parfaitement au style de Mme Shikata, en tout cas selon ce que j'avais écouté d'elle.
La thématique des muses a bien sûr encadré mes arrangements, mais la personnalité et le style de Mme Shikata a joué un rôle tout aussi important. On m'a confié les muses de l'histoire (Clio) et de la tragédie (Melpomène).
Comment décririez-vous le style de vos arrangements au piano sur cet album ?Le morceau au piano reflète un thème tragique. Plutôt que de le composer de manière énergique ou passionnée, j'ai voulu qu'il soit calme et discret. C'est pour cela que j'ai laissé de longs silences entre les notes. Je voulais que celui qui l'écoute en ressente l'aspect négatif, alors j'ai vraiment essayé de retenir chaque note de la piste.
Vous avez aussi arrangé quelques du jeu d'arcade Mega Man 2: The Power Fighters ?Oui, trois thèmes de niveau.
Comment les avez-vous choisis ?On m'a demandé si j'aimerais participer au projet, pour m'occuper des pistes qui n'étaient pas déjà prises. Comme j'étais satisfait de la sélection, c'était un vrai plaisir.
Comment avez-vous décidé des arrangements ?J'ai changé les accors dans "Dive Man". J'ai repris la mélodie de base et j'ai modifié l'harmonie pour qu'elle corresponde plus à mes goûts. Pour "Pharaoh Man", j'ai choisi un rythme latino parce que j'ai pensé que ça correspondait bien. Enfin, pour "Stone Man", le début est très décontracté à la manière ce que pourrait jouer un saxophone.
Avez-vous apprécié de travailler avec d'autres musiciens sur ce projet précis ?A cette époque, je n'étais dans la société que depuis deux ans, alors les autres avaient plus d'expérience que moi. J'ai pu voir comment ils travaillaient, et cela m'a beaucoup appris sur comment arranger ma musique. C'était une vraie chance de pouvoir comprendre les styles de chacun et leur manière de travailler.
Vous avez dit que vous aimeriez jouer en concert en rapport avec votre activé à Design Wave. Est-ce important de jouer dans un groupe pour revenir compositeur ?Pour les arrangements, oui, c'est très utile. Vous comprenez mieux jusqu'où peuvent aller une guitare ou une batterie pour élaborer une atmosphère donnée. Jouer dans un groupe donne accès à ce type de compétence.
C'est donc quelque chose que vous recommandez à ceux qui veulent devenir musiciens ou compositeurs de jeu vidéo ?Absolument. De nos jours, c'est assez courant de tout faire soi-même, de la composition aux arrangements. Dans la musique de jeu vidéo, c'est tout à fait naturel de s'occuper soi-même de l'encodage et du mixage. Cependant, ce n'est pas de cette manière que vous pouvez comprendre ce dont sont capables une guitare ou d'autres instruments. Pour révéler tout son potentiel en tant que créateur de musique électronique, il peut être essentiel d'avoir une connaissance approfondie des caractéristiques des instruments acoustiques.
[Vous pouvez importer l'album Monster Hunter 3rd Anniversary Commemorative Best Track sur Amazon.co.jp. Images : Capcom, Vagrancy et Square Enix.]