Sakuraba, un homme à périodes
Dans le paysage de la musique de jeu vidéo, Motoi Sakuraba (桜庭統) a presque toujours été considéré comme un électron libre, voguant au gré de son imagination dans des projets généralement assez prestigieux. Malgré un style établi aisément reconnaissable, il a écrit de la musique pour des jeux tout de même variés, allant des grandioses RPG de tri-Ace (Star Ocean, Valkyrie Profile) aux jeux de sport de Mario et toute sa clique (Mario Golf et Tennis). Comme un certain nombre de compositeurs de jeux, il a connu les limitations sonores des vieilles consoles de la fin des années 90 avant de se libérer peu à peu de ces contraintes avec l'arrivée des 32, 64 et 128 bits. Il continue son odyssée avec la next generation, son dernier grand projet en date étant Trusty Bell sur Xbox 360 et PS3, aka Eternal Sonata en occident.
Cependant, Motoi Sakuraba est un "homme à périodes" : son style a effet grandement évolué en une vingtaine d'années. Curieusement, ces périodes stylistiques correspondent à la durée de vie des générations de consoles. Peut-on y voir un lien ? C'est possible, mais ses changements d'orientation n'ont pas vraiment à voir avec la qualité sonore disponible, car l'artiste a très souvent réussi à s'exprimer sans aucune contrainte technique via des albums arrangés. Ceux-ci témoignent peut-être encore mieux que les bandes originales des périodes qu'a traversé Sakuraba.
Avant la VGM : les années 80
La trace la plus ancienne de Motoi Sakuraba que nous connaissons n'a rien à voir avec la musique de jeu vidéo, puisqu'il s'agit de sa collaboration au groupe japonais de rock progressif Déjà Vu. Cela remonte à 1988, et la sortie de leur unique album, Baroque in the Future. Ce n'est un secret pour personne : Sakuraba est clairement issu de la scène progressive, ce genre si particulier qui n'a d'intérêt que dans un déchaînement baroque d'instruments synthétiques à la mélodie raffinée et à l'évolution assez longue pour dépasser la dizaine de minutes. Heureusement, c'est Sakuraba lui-même qui a composé et arrangé les quelques musiques de ce groupe. Et pas de doute : au vu de sa carrière dans le jeu vidéo, impossible de ne pas le reconnaître. Toujours ces orgues hammond exaltés, ce piano à la limite de l'improvisation, ces choeurs dramatiques, ces percussions violentes omniprésentes...
Gikyokuonsô : "Humpty Dumpty"
Son album solo Gikyokuonsô (戯曲音創 en japonais, ce qui signifie approximativement "naissance de musique théâtrale") incarne sans doute mieux son esprit progressif. Ecrit entre les deux décennies, il reprend les mêmes caractéristiques que l'album du groupe Déjà Vu, mais de manière bien plus personnelle et sans chanson cette fois. A travers les huit compositions de ce disque (dont l'une d'elles, "Byzantium", est une reprise de Déjà Vu), on ne peut que ressentir à quel point son imagination est débordante. Un peu bridée par la génération Super Nintendo et Mega Drive, elle a de nouveau éclaté lors de la seconde moitié des années 90...
1989 à 1995 : Wolf Team, travail d'équipe
C'est à cette époque que Motoi Sakuraba a affiné son style vidéo ludique, souvent accompagné d'autres compositeurs à qui il est depuis resté fidèle : Shinji Tamura (toujours en charge de la série Tales of avec lui) et Hiroya Hatsushiba (actuel directeur de tri-Crescendo) notamment, sans compter les game designers qui ne l'ont pas quitté non plus, ce qui explique la variété des projets qui lui sont proposés depuis. Il est à noter qu'entre 1990 et 1996 et à l'exception de Gikyokuonsô (1991), aucun album contenant ses compositions n'est sorti, et que pour se lancer à la découverte de cette époque, il faut passer par l'émulation. Les consoles en question sont le plus souvent la Super Nintendo et la Mega Drive.
Final Zone Senki: AXIS : "City Gate"
Mais outre certaines fautes de goût venant en grande partie des banques sonores limitées (notamment sur Mega Drive), qui font aujourd'hui que ses musiques sont immédiatement qualifiées d'old school, Sakuraba peut être fier de cette entrée en scène dans le monde du jeu vidéo. Gratifié d'un certain nombre de shoot et de jeux d'actions, il a pu puiser dans ses ressources progressives autant qu'il le souhaitait. A cela près qu'il n'est plus question de délires peu nombreux dépassant les 5 minutes d'évolution, mais d'une multitude de petits morceaux qui demandent un accès immédiat à l'ambiance voulue. A cette époque, Sakuraba et ses collaborateurs n'ont pas été chercher plus loin que des rythmes endiablés sur des mélodies électroniques peu complexes. Voyez Final Zone: AXIS, Granada (ces deux-là ayant d'ailleurs bénéficié de bandes originales contenant quelques arrangements), Sol-Deace ou encore El Viento.
Arcus Spirits : sans titre
En parallèle, certains jeux plus "calmes", tels que les séries Hiôden et Arcus ont permis au compositeur de développer un style moins violent, beaucoup plus proche des morceaux paisibles et/ou mystérieux qui ont marqué la suite de sa carrière. Mais là aussi, les racines progressives sont plus qu'évidentes : la harpe magique, le piano mélodique, les choeurs envoûtants, la flûte mélancolique, et ces percussions qui offrent souvent une ambiance plus inquiétante. Mais même dans ces RPG ou jeux de stratégie, le rock progressif à grand renfort de batterie et d'orgues réussit à se frayer un passage. C'est la touche Sakuraba, chose qu'on ne pourra sans doute jamais lui enlever. La suite logique de ce mélange devenu classique est Tales of Phantasia, en 1995, première collaboration entre Sakuraba et Tamura sur cette série qui a donné depuis toute une portée.
1995 à 2003 : l'Imagination
Fondamentalement, cette période ne tranche pas véritablement avec la précédente au niveau des inspirations, mais elle a connu une évolution intéressante vers des travaux plus "dramatiques", qui ont amorcé le passage à la période qui suit. Au niveau des jeux, la principale différence est que Sakuraba est désormais associé à un plus grand nombre de RPG qu'à l'époque de Wolf Team, où la série Arcus l'avait déjà tant inspiré. On trouve ainsi Tales of Phantasia, jeu charnière, le discret Beyond the Beyond, Star Ocean et sa suite, deux épisodes de la série Shining, Valkyrie Profile, les deux Golden Sun, quelques Tales of, et enfin le grand final, qui demeure pour le moment le sommet de sa carrière, Star Ocean: Till the End of Time.
Beyond the Beyond : "飛翔の時" (hishô no toki, moment d'envol)
Les musiques sont désormais un peu plus complexes, et elles bénéficient surtout d'extensions à travers une poignée d'albums arrangés qui constituent sans mal certains de ses meilleurs travaux. Il y expose en effet toute son imagination musicale à travers des mastodontes progressifs (ou non) à l'image des univers sauvages qu'ils illustrent à la base. Ainsi le Sakuraba de cette époque compose à la gloire des environnements mystérieux et hostiles des RPG auxquels il collabore, créant au final une violence épique, un chaos fascinant, une fantaisie mystique. Cette alchimie redoutable rend intouchables les chefs-d'oeuvre Beyond the Beyond, Shining Force III, Shining the Holy Ark et Star Ocean: The Second Story, dont les albums arrangés se libèrent totalement de toutes contraintes. On y sent un Sakuraba heureux de son art. C'est contagieux.
Valkyrie Profile : "Behave irrationally"
Star Ocean: The Second Story, à travers notamment le somptueux "Theme of RENA", ajoute cependant une autre dimension que Valkyrie Profile va exploiter, au grand bonheur de son scénario tragique. Il s'agit bien sûr d'une touche hautement dramatique. Même si Valkyrie Profile est rempli, peut-être à l'excès, de rythmes progressifs haletants auxquels s'ajoute malheureusement une qualité sonore limitée, Sakuraba y a glissé un certain nombre de pistes au pathos démesuré. Les choeurs froids, la flûte triste et les cordes lentes donnent une couleur unique au jeu. Cependant, le musicien semble limité, sans doute inquiet de ne pas retranscrire les émotions aussi clairement qu'avec de vrais instruments. En 2003, il déclare au magazine Famitsu : "Je ne veux pas faire de la musique pour synthétiseur. Je préfère des musiques pouvant être jouées par des musiciens. [...] Je pense qu'à l'avenir, je vais me concentrer surtout sur l'interprétation."
Star Ocean: Till the End of Time : "Starless Wavelets"
2003, c'est-à-dire l'année de son chef-d'oeuvre, j'ai nommé Star Ocean: Till the End of Time. Quatre ans après sa sortie, on ne peut toujours rien reprocher à ce monument de la VGM : Sakuraba a réalisé un quasi sans faute... Les quelques fautes de goût éparpillées sur le CD1 de l'OST 2 n'ont guère d'importance. Pour le RPG space opera de tri-Ace, le compositeur a opté pour le live intégral : toutes les pistes du jeu sont interprétées en studio, qu'il s'agisse de la merveilleuse partie jouée par un orchestre ou des pistes progressives hypnotisantes. La partition orchestrale (à peu près la moitié des morceaux) est une bénédiction à elle toute seule. Il n'y a désormais plus aucune contrainte technique, toutes les émotions voulues par Sakuraba s'expriment dans un déchaînement au dynamisme majestueux, dans des ballades virant à l'épique et dans des complaintes déchirantes. Quant à la partie progressive, elle se laisse aller à toutes sortes d'originalités généralement démoniaques. Après une telle claque, les fans ne peuvent que tendre l'autre joue, mais à l'heure actuelle, aucune autre baffe n'est venue la toucher.
2003 à 2006 : assagissement... et épuisement ?
C'est également en 2003 qu'est sortie la bande originale qui a marqué le début d'une nouvelle ère. Star Ocean mettait un terme au triomphe de l'imagination, Baten Kaitos allait inaugurer un assagissement assez inattendu. Cette fois-ci, si Sakuraba a encore réussi l'exploit de tout faire jouer en live, seuls quelques instruments glissent çà et là leurs solos : violon, flûte, hautbois, guitare électrique... Le reste étant interprété par Sakuraba sur ses claviers. De ce fait, ce qui rendait Star Ocean grandiloquent est nettement en retrait au profit de ballades sympathiques, à l'image de la très marquante "Limpidly flow". En contrepartie, c'est la naissance d'un style qui a totalement ruiné Sakuraba au cours des années qui ont suivi, donnant l'impression qu'il ne savait plus faire que ça. Il s'agit bien sûr des pistes orchestrales à la tonalité très sombre. Même pas dramatiques, juste sombres, le tout à grand renfort de cuivres pesants et de mélodies noires.
Baten Kaitos II (Origins) : "二つの棺" (futatsu no kan, deux cercueils)
Les quelques albums publiés par le compositeur entre 2003 et 2006 n'ont rien de formidable. Tales of Symphonia, of Rebirth et of the Abyss sont toujours aussi quelconques en dehors de quelques bonheurs progressifs, et Duel Masters s'avère totalement ennuyeux (la faute à ce fameux style orchestral sombre uniforme et sans aucune saveur). Pour une vraie touche de fraîcheur, il convient de se tourner vers les musiques entraînantes de Mario Tennis et Mario Golf sur GameCube, publiées dans le magazine japonais Nintendo Dream en 2004. C'est original et festif, à l'image de l'univers Mario. Ceci dit, au cours de cette période, Sakuraba a beaucoup collaboré à des albums d'arrangements collectifs, offrant son style de manière plus périodique et ainsi, plus digeste.
Après 2006 : le début d'une ère contemplative ?
Baten Kaitos II, sorti début 2006, est sans doute le paroxysme du style orchestral sombre de Sakuraba. Il y en a presque partout, uniformément, avec heureusement quelques touches légères dans l'esprit du premier épisode. Mais, pour le bonheur des oreilles délicates, ce jeu signale aussi le début d'une nouvelle ère... Certaines pistes dévoilent ainsi un style contemplatif, très paisible, que Sakuraba n'avait jamais vraiment exposé jusqu'à ce moment. A la trappe l'orchestre synthétique pompeux, place à des instruments beaucoup plus modestes et touchants, générateurs d'ambiances calmes mais mystérieuses, douces mais mélancoliques. Guitare acoustique, piano, harpe, flûte, un léger accompagnement, peut-être quelques choeurs... Sakuraba serait-il tombé sous le charme de la merveilleuse bande son de Diablo II, signée Matt Uelmen ? Certaines pistes en sont de vraies réminiscences.
Valkyrie Profile 2: Silmeria : "流浪" (rurô, errance)
Quelques mois après Baten Kaitos II, tri-Ace a publié son dernier jeu PlayStation 2, Valkyrie Profile 2. Celui-ci n'a fait que confirmer la nouvelle orientation contemplative de Sakuraba. Exit les sentiments exacerbés du premier épisode, il est cette fois-ci question d'un univers musical discret et sobre, mais à l'habillage instrumental raffiné. Les mêmes instruments (guitare, flûte, piano, harpe, choeurs) procurent ainsi une ambiance paisible, parfois un peu triste ou nostalgique, mais toujours avec une fraîcheur d'autant plus marquante qu'elle n'a absolument rien à voir avec les horreurs "cuivrées" que le compositeur a commis au cours des années précédentes. Il en demeure bien sûr des traces tenaces, mais elles sont estompées par des envolées plus légères, parfois très dramatiques. En dehors de cela, le mot clé est encore une fois "contemplation". Certaines pistes plongent dans une paisible simplicité qui créé une ambiance fantastique quand elle s'ajoute aux vastes décors du jeu. Il ne s'agit plus du dynamisme progressif du Sakuraba des années 90, mais l'imagination semble regagner du terrain dans ce domaine plus apaisant. L'assagissement est désormais légitime.
Trusty Bell (Eternal Sonata) : "Endure and resist"
La tendance se confirme en 2007 avec l'arrivée de Trusty Bell: Chopin no Yume (Eternal Sonata en dehors du Japon), un RPG original puisqu'il prend pour base le rêve qu'aurait pu avoir le compositeur Frédéric Chopin sur son lit de mort parisien. Auriez-vous imaginé Sakuraba rendre hommage à ce génie du piano en tartinant des tonnes de rock progressif débridé ? Non, bien sûr, d'autant plus que quelques unes des oeuvres les plus fameuses de Chopin (l'étude révolutionnaire, le prélude de la goutte d'eau, Fantaisie-Impromptu, la Polonaise héroïque...) ponctuent la bande son du jeu, interprétées par le pianiste russe Stanislav Bunin. Sakuraba y a ajouté ses propres solos de piano, bien évidemment plus modestes, mais tout de même jolis. Pour le reste, le compositeur reprend la recette savoureuse des pistes les plus belles de Baten Kaitos : de l'entrain, des solos d'instruments acoustiques (flûte, violon, hautbois) et des touches mystiques... et ce style contemplatif, moins présent que dans Valkyrie Profile 2, mais dont la présence est toujours aussi rafraîchissante. Le paroxysme est sans doute le thème du combat final, arrangement à la Sakuraba de l'étude révolutionnaire... Qu'en aurait pensé Chopin ?
En attendant l'avenir
Au cours des prochains mois (voire des prochaines années), Motoi Sakuraba nous réserve encore de gros projets qui permettront de constater si la tendance tracée par ses trois derniers jeux va se confirmer, ou s'il va encore changer de chemise, ou même s'il va revenir à quelque chose de passé... Nous le retrouverons sans doute dans les deux futurs tri-Ace (Infinite Undiscovery et Star Ocean 4), dans les prochains Tales of (Innocence et la suite de Symphonia), et peut-être encore ailleurs. Mais va-t-il réussir à maintenir un tel rythme aussi longtemps ? Il y a quelques temps, il déclarait sur son site officiel : "[Je travaille] environ 12 heures par jour, mais dans mes pires périodes je m'amuse avec mon clavier 20 heures par jour." Quand dort-il ? Sa récente période contemplative s'explique-t-elle par la difficulté de supporter du progressif 12 heures par jour ? Sans doute pas. Car même s'il a bien suivi les époques que je viens de dresser, il n'a jamais abandonné le rock progressif. Et ça, c'est sans doute ce qui restera la toile de fond de sa brillante carrière. Qu'elle dure encore longtemps.
Cependant, Motoi Sakuraba est un "homme à périodes" : son style a effet grandement évolué en une vingtaine d'années. Curieusement, ces périodes stylistiques correspondent à la durée de vie des générations de consoles. Peut-on y voir un lien ? C'est possible, mais ses changements d'orientation n'ont pas vraiment à voir avec la qualité sonore disponible, car l'artiste a très souvent réussi à s'exprimer sans aucune contrainte technique via des albums arrangés. Ceux-ci témoignent peut-être encore mieux que les bandes originales des périodes qu'a traversé Sakuraba.
Avant la VGM : les années 80
La trace la plus ancienne de Motoi Sakuraba que nous connaissons n'a rien à voir avec la musique de jeu vidéo, puisqu'il s'agit de sa collaboration au groupe japonais de rock progressif Déjà Vu. Cela remonte à 1988, et la sortie de leur unique album, Baroque in the Future. Ce n'est un secret pour personne : Sakuraba est clairement issu de la scène progressive, ce genre si particulier qui n'a d'intérêt que dans un déchaînement baroque d'instruments synthétiques à la mélodie raffinée et à l'évolution assez longue pour dépasser la dizaine de minutes. Heureusement, c'est Sakuraba lui-même qui a composé et arrangé les quelques musiques de ce groupe. Et pas de doute : au vu de sa carrière dans le jeu vidéo, impossible de ne pas le reconnaître. Toujours ces orgues hammond exaltés, ce piano à la limite de l'improvisation, ces choeurs dramatiques, ces percussions violentes omniprésentes...
Gikyokuonsô : "Humpty Dumpty"
Son album solo Gikyokuonsô (戯曲音創 en japonais, ce qui signifie approximativement "naissance de musique théâtrale") incarne sans doute mieux son esprit progressif. Ecrit entre les deux décennies, il reprend les mêmes caractéristiques que l'album du groupe Déjà Vu, mais de manière bien plus personnelle et sans chanson cette fois. A travers les huit compositions de ce disque (dont l'une d'elles, "Byzantium", est une reprise de Déjà Vu), on ne peut que ressentir à quel point son imagination est débordante. Un peu bridée par la génération Super Nintendo et Mega Drive, elle a de nouveau éclaté lors de la seconde moitié des années 90...
1989 à 1995 : Wolf Team, travail d'équipe
C'est à cette époque que Motoi Sakuraba a affiné son style vidéo ludique, souvent accompagné d'autres compositeurs à qui il est depuis resté fidèle : Shinji Tamura (toujours en charge de la série Tales of avec lui) et Hiroya Hatsushiba (actuel directeur de tri-Crescendo) notamment, sans compter les game designers qui ne l'ont pas quitté non plus, ce qui explique la variété des projets qui lui sont proposés depuis. Il est à noter qu'entre 1990 et 1996 et à l'exception de Gikyokuonsô (1991), aucun album contenant ses compositions n'est sorti, et que pour se lancer à la découverte de cette époque, il faut passer par l'émulation. Les consoles en question sont le plus souvent la Super Nintendo et la Mega Drive.
Final Zone Senki: AXIS : "City Gate"
Mais outre certaines fautes de goût venant en grande partie des banques sonores limitées (notamment sur Mega Drive), qui font aujourd'hui que ses musiques sont immédiatement qualifiées d'old school, Sakuraba peut être fier de cette entrée en scène dans le monde du jeu vidéo. Gratifié d'un certain nombre de shoot et de jeux d'actions, il a pu puiser dans ses ressources progressives autant qu'il le souhaitait. A cela près qu'il n'est plus question de délires peu nombreux dépassant les 5 minutes d'évolution, mais d'une multitude de petits morceaux qui demandent un accès immédiat à l'ambiance voulue. A cette époque, Sakuraba et ses collaborateurs n'ont pas été chercher plus loin que des rythmes endiablés sur des mélodies électroniques peu complexes. Voyez Final Zone: AXIS, Granada (ces deux-là ayant d'ailleurs bénéficié de bandes originales contenant quelques arrangements), Sol-Deace ou encore El Viento.
Arcus Spirits : sans titre
En parallèle, certains jeux plus "calmes", tels que les séries Hiôden et Arcus ont permis au compositeur de développer un style moins violent, beaucoup plus proche des morceaux paisibles et/ou mystérieux qui ont marqué la suite de sa carrière. Mais là aussi, les racines progressives sont plus qu'évidentes : la harpe magique, le piano mélodique, les choeurs envoûtants, la flûte mélancolique, et ces percussions qui offrent souvent une ambiance plus inquiétante. Mais même dans ces RPG ou jeux de stratégie, le rock progressif à grand renfort de batterie et d'orgues réussit à se frayer un passage. C'est la touche Sakuraba, chose qu'on ne pourra sans doute jamais lui enlever. La suite logique de ce mélange devenu classique est Tales of Phantasia, en 1995, première collaboration entre Sakuraba et Tamura sur cette série qui a donné depuis toute une portée.
1995 à 2003 : l'Imagination
Fondamentalement, cette période ne tranche pas véritablement avec la précédente au niveau des inspirations, mais elle a connu une évolution intéressante vers des travaux plus "dramatiques", qui ont amorcé le passage à la période qui suit. Au niveau des jeux, la principale différence est que Sakuraba est désormais associé à un plus grand nombre de RPG qu'à l'époque de Wolf Team, où la série Arcus l'avait déjà tant inspiré. On trouve ainsi Tales of Phantasia, jeu charnière, le discret Beyond the Beyond, Star Ocean et sa suite, deux épisodes de la série Shining, Valkyrie Profile, les deux Golden Sun, quelques Tales of, et enfin le grand final, qui demeure pour le moment le sommet de sa carrière, Star Ocean: Till the End of Time.
Beyond the Beyond : "飛翔の時" (hishô no toki, moment d'envol)
Les musiques sont désormais un peu plus complexes, et elles bénéficient surtout d'extensions à travers une poignée d'albums arrangés qui constituent sans mal certains de ses meilleurs travaux. Il y expose en effet toute son imagination musicale à travers des mastodontes progressifs (ou non) à l'image des univers sauvages qu'ils illustrent à la base. Ainsi le Sakuraba de cette époque compose à la gloire des environnements mystérieux et hostiles des RPG auxquels il collabore, créant au final une violence épique, un chaos fascinant, une fantaisie mystique. Cette alchimie redoutable rend intouchables les chefs-d'oeuvre Beyond the Beyond, Shining Force III, Shining the Holy Ark et Star Ocean: The Second Story, dont les albums arrangés se libèrent totalement de toutes contraintes. On y sent un Sakuraba heureux de son art. C'est contagieux.
Valkyrie Profile : "Behave irrationally"
Star Ocean: The Second Story, à travers notamment le somptueux "Theme of RENA", ajoute cependant une autre dimension que Valkyrie Profile va exploiter, au grand bonheur de son scénario tragique. Il s'agit bien sûr d'une touche hautement dramatique. Même si Valkyrie Profile est rempli, peut-être à l'excès, de rythmes progressifs haletants auxquels s'ajoute malheureusement une qualité sonore limitée, Sakuraba y a glissé un certain nombre de pistes au pathos démesuré. Les choeurs froids, la flûte triste et les cordes lentes donnent une couleur unique au jeu. Cependant, le musicien semble limité, sans doute inquiet de ne pas retranscrire les émotions aussi clairement qu'avec de vrais instruments. En 2003, il déclare au magazine Famitsu : "Je ne veux pas faire de la musique pour synthétiseur. Je préfère des musiques pouvant être jouées par des musiciens. [...] Je pense qu'à l'avenir, je vais me concentrer surtout sur l'interprétation."
Star Ocean: Till the End of Time : "Starless Wavelets"
2003, c'est-à-dire l'année de son chef-d'oeuvre, j'ai nommé Star Ocean: Till the End of Time. Quatre ans après sa sortie, on ne peut toujours rien reprocher à ce monument de la VGM : Sakuraba a réalisé un quasi sans faute... Les quelques fautes de goût éparpillées sur le CD1 de l'OST 2 n'ont guère d'importance. Pour le RPG space opera de tri-Ace, le compositeur a opté pour le live intégral : toutes les pistes du jeu sont interprétées en studio, qu'il s'agisse de la merveilleuse partie jouée par un orchestre ou des pistes progressives hypnotisantes. La partition orchestrale (à peu près la moitié des morceaux) est une bénédiction à elle toute seule. Il n'y a désormais plus aucune contrainte technique, toutes les émotions voulues par Sakuraba s'expriment dans un déchaînement au dynamisme majestueux, dans des ballades virant à l'épique et dans des complaintes déchirantes. Quant à la partie progressive, elle se laisse aller à toutes sortes d'originalités généralement démoniaques. Après une telle claque, les fans ne peuvent que tendre l'autre joue, mais à l'heure actuelle, aucune autre baffe n'est venue la toucher.
2003 à 2006 : assagissement... et épuisement ?
C'est également en 2003 qu'est sortie la bande originale qui a marqué le début d'une nouvelle ère. Star Ocean mettait un terme au triomphe de l'imagination, Baten Kaitos allait inaugurer un assagissement assez inattendu. Cette fois-ci, si Sakuraba a encore réussi l'exploit de tout faire jouer en live, seuls quelques instruments glissent çà et là leurs solos : violon, flûte, hautbois, guitare électrique... Le reste étant interprété par Sakuraba sur ses claviers. De ce fait, ce qui rendait Star Ocean grandiloquent est nettement en retrait au profit de ballades sympathiques, à l'image de la très marquante "Limpidly flow". En contrepartie, c'est la naissance d'un style qui a totalement ruiné Sakuraba au cours des années qui ont suivi, donnant l'impression qu'il ne savait plus faire que ça. Il s'agit bien sûr des pistes orchestrales à la tonalité très sombre. Même pas dramatiques, juste sombres, le tout à grand renfort de cuivres pesants et de mélodies noires.
Baten Kaitos II (Origins) : "二つの棺" (futatsu no kan, deux cercueils)
Les quelques albums publiés par le compositeur entre 2003 et 2006 n'ont rien de formidable. Tales of Symphonia, of Rebirth et of the Abyss sont toujours aussi quelconques en dehors de quelques bonheurs progressifs, et Duel Masters s'avère totalement ennuyeux (la faute à ce fameux style orchestral sombre uniforme et sans aucune saveur). Pour une vraie touche de fraîcheur, il convient de se tourner vers les musiques entraînantes de Mario Tennis et Mario Golf sur GameCube, publiées dans le magazine japonais Nintendo Dream en 2004. C'est original et festif, à l'image de l'univers Mario. Ceci dit, au cours de cette période, Sakuraba a beaucoup collaboré à des albums d'arrangements collectifs, offrant son style de manière plus périodique et ainsi, plus digeste.
Après 2006 : le début d'une ère contemplative ?
Baten Kaitos II, sorti début 2006, est sans doute le paroxysme du style orchestral sombre de Sakuraba. Il y en a presque partout, uniformément, avec heureusement quelques touches légères dans l'esprit du premier épisode. Mais, pour le bonheur des oreilles délicates, ce jeu signale aussi le début d'une nouvelle ère... Certaines pistes dévoilent ainsi un style contemplatif, très paisible, que Sakuraba n'avait jamais vraiment exposé jusqu'à ce moment. A la trappe l'orchestre synthétique pompeux, place à des instruments beaucoup plus modestes et touchants, générateurs d'ambiances calmes mais mystérieuses, douces mais mélancoliques. Guitare acoustique, piano, harpe, flûte, un léger accompagnement, peut-être quelques choeurs... Sakuraba serait-il tombé sous le charme de la merveilleuse bande son de Diablo II, signée Matt Uelmen ? Certaines pistes en sont de vraies réminiscences.
Valkyrie Profile 2: Silmeria : "流浪" (rurô, errance)
Quelques mois après Baten Kaitos II, tri-Ace a publié son dernier jeu PlayStation 2, Valkyrie Profile 2. Celui-ci n'a fait que confirmer la nouvelle orientation contemplative de Sakuraba. Exit les sentiments exacerbés du premier épisode, il est cette fois-ci question d'un univers musical discret et sobre, mais à l'habillage instrumental raffiné. Les mêmes instruments (guitare, flûte, piano, harpe, choeurs) procurent ainsi une ambiance paisible, parfois un peu triste ou nostalgique, mais toujours avec une fraîcheur d'autant plus marquante qu'elle n'a absolument rien à voir avec les horreurs "cuivrées" que le compositeur a commis au cours des années précédentes. Il en demeure bien sûr des traces tenaces, mais elles sont estompées par des envolées plus légères, parfois très dramatiques. En dehors de cela, le mot clé est encore une fois "contemplation". Certaines pistes plongent dans une paisible simplicité qui créé une ambiance fantastique quand elle s'ajoute aux vastes décors du jeu. Il ne s'agit plus du dynamisme progressif du Sakuraba des années 90, mais l'imagination semble regagner du terrain dans ce domaine plus apaisant. L'assagissement est désormais légitime.
Trusty Bell (Eternal Sonata) : "Endure and resist"
La tendance se confirme en 2007 avec l'arrivée de Trusty Bell: Chopin no Yume (Eternal Sonata en dehors du Japon), un RPG original puisqu'il prend pour base le rêve qu'aurait pu avoir le compositeur Frédéric Chopin sur son lit de mort parisien. Auriez-vous imaginé Sakuraba rendre hommage à ce génie du piano en tartinant des tonnes de rock progressif débridé ? Non, bien sûr, d'autant plus que quelques unes des oeuvres les plus fameuses de Chopin (l'étude révolutionnaire, le prélude de la goutte d'eau, Fantaisie-Impromptu, la Polonaise héroïque...) ponctuent la bande son du jeu, interprétées par le pianiste russe Stanislav Bunin. Sakuraba y a ajouté ses propres solos de piano, bien évidemment plus modestes, mais tout de même jolis. Pour le reste, le compositeur reprend la recette savoureuse des pistes les plus belles de Baten Kaitos : de l'entrain, des solos d'instruments acoustiques (flûte, violon, hautbois) et des touches mystiques... et ce style contemplatif, moins présent que dans Valkyrie Profile 2, mais dont la présence est toujours aussi rafraîchissante. Le paroxysme est sans doute le thème du combat final, arrangement à la Sakuraba de l'étude révolutionnaire... Qu'en aurait pensé Chopin ?
En attendant l'avenir
Au cours des prochains mois (voire des prochaines années), Motoi Sakuraba nous réserve encore de gros projets qui permettront de constater si la tendance tracée par ses trois derniers jeux va se confirmer, ou s'il va encore changer de chemise, ou même s'il va revenir à quelque chose de passé... Nous le retrouverons sans doute dans les deux futurs tri-Ace (Infinite Undiscovery et Star Ocean 4), dans les prochains Tales of (Innocence et la suite de Symphonia), et peut-être encore ailleurs. Mais va-t-il réussir à maintenir un tel rythme aussi longtemps ? Il y a quelques temps, il déclarait sur son site officiel : "[Je travaille] environ 12 heures par jour, mais dans mes pires périodes je m'amuse avec mon clavier 20 heures par jour." Quand dort-il ? Sa récente période contemplative s'explique-t-elle par la difficulté de supporter du progressif 12 heures par jour ? Sans doute pas. Car même s'il a bien suivi les époques que je viens de dresser, il n'a jamais abandonné le rock progressif. Et ça, c'est sans doute ce qui restera la toile de fond de sa brillante carrière. Qu'elle dure encore longtemps.
5 commentaires:
Belle biographie intéractive ^^ ! Bonne continuation pour ton blog Jérémie, ca le fait!
Pour en revenir à Sakuraba moi perso j'y crois plus trop, enfin ceci dit on verra bien hein ^^"
Article très intéressant, m'a fait réécouter l'OST de SO3, clairement la pièce maitresse de Sakuraba.
J'ai peur pour Infinite Undiscovery (la zik du site officiel, lol ^^') et SO4, mais bon, on verra bien.
On est pas à l'abris d'une surprise à la VP2.
C'est fou comme j'ai appris des choses sur lui ! Je croyais qu'il avait commencé avec Tales of Phantasia... Enfin, merci beaucoup de cet article, je sais déjà ce que je vais aller écouter ! ^^ Et la présence d'extraits musicaux rend la lecture encore plus intéressante ! Continue comme ça ! ;)
Merci pour cette grande page consacrée à Sakuraba. Bourrée d'infos et retraçant très bien sa carrière j'ai appris plein de choses. La période que je préfère chez Motoi c'est quand il faisait du rock progressif : en gros et en résumé les années 90.
Sans oublier Gikyokuonsou (1991) qui n'est pas un OST et son groupe Déjà-Vu avec l'album Baroque In The Future de 1988.
J'ai enfin trouvé le temps de lire cet article de qualité, merci !
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